Les défis de l’Internet des objets 27.09.2016, par Martin Koppe MIMI POTTER/FOTOLIA.COM Partager Smartphones, drones, capteurs de température ou de mouvement… D’ici à 2020, 50 milliards d’appareils seront connectés à un vaste réseau : l’Internet des objets. Mais les scientifiques ont encore de nombreux défis à relever, allant de l’autonomie énergétique des capteurs à la sécurité des données.
Source : Les défis de l’Internet des objets | CNRS Le journal
L’existence de réfrigérateurs équipés de Wi-Fi le prouve jusqu’à l’absurde : la liste des objets connectés s’allonge en permanence. Les applications ne manquent à vrai dire pas, que ce soit pour des réseaux de capteurs de qualité et de sécurité pour l’usine du futur, pour un escadron de drones dédiés à l’agriculture ou pour votre imprimante reliée en Bluetooth. Ces vastes réseaux d’appareils forment l’Internet des objets. Si le Web classique paraît déjà tentaculaire, ce domaine s’élargit de manière exponentielle et bouleverse autant la recherche que nos vies quotidiennes. En 2020, on estime que le nombre d’objets connectés en circulation atteindra les 50 milliards.
des données
ralentit les réseaux
et réclame
de l’énergie.
Un tel chiffre s’accompagne fatalement de défis complexes. Comment préserver la sécurité pour les quantités astronomiques de données échangées ? Comment garantir la compatibilité entre autant d’objets ? Comment empêcher ces réseaux de pulvériser les dépenses énergétiques ? De nombreux laboratoires se sont emparés de ces thématiques, comme ceux liés à l’Institut de recherche en composants logiciels et matériels pour l’information et la communication avancée (Ircica)1, à Lille, qui fête ses dix ans.
« L’Internet des objets réclame une collaboration interdisciplinaire exploratoire, s’enthousiasme Natalie Rolland, professeure à l’université de Lille 1 et directrice de l’Ircica. Nous coopérons même avec des sociologues et nous faisons attention à ce que les gens puissent accepter ces technologies. » Son laboratoire s’apprête à inaugurer un totem en béton intelligent. Bardé de capteurs sensibles autonomes, il va permettre d’étudier l’évolution de sa structure en fonction de la température, des contraintes physiques, de l’humidité… Plus grand-chose n’échappe aux capteurs.
Concevoir des dispositifs souples et adaptables
En retour, cette densification des données ralentit les réseaux et réclame de l’énergie. Les chercheurs de l’Ircica et d’ailleurs jouent sur l’architecture des réseaux pour régler ces problèmes. Par exemple, trier et traiter les données directement au niveau d’un hub, un point du réseau qui concentre les informations, plutôt que d’échanger avec des data centers qui ne se trouvent pas forcément sur le même continent. Pour Laurent Clavier, professeur à l’école d’ingénieurs Télécom Lille, chercheur à l’Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie2 et membre de l’équipe CSAM3 de l’Ircica, tout est question de compromis. « Les économies d’énergie et la fiabilité s’obtiennent plus facilement si l’information n’a pas besoin d’être transmise à quelques millisecondes près, explique le chercheur. Tout se complique si le réseau concerne les voitures autonomes ou les systèmes d’arrêt d’urgence dans les usines. Les réseaux actuels n’assurent pour l’instant pas de délais aussi courts. »
Afin de ne pas se cantonner à des niches trop restreintes pour être rentables, les équipes travaillent à des solutions souples et adaptables. Laurent Clavier évoque ainsi un projet de capteurs qui fonctionneraient même sur des rhinocéros pour alerter si un animal est pourchassé par des braconniers. On imagine alors le besoin en matériel robuste et autonome, plutôt que d’avoir à changer les piles tous les six mois sur un rhinocéros en pleine savane. Olivier Berder, professeur et responsable de l’équipe Granit4 au sein de l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (Irisa)5, à Lannion, fait partie de ceux qui s’attachent à améliorer l’efficacité énergétique des objets connectés. « Les capteurs ne consomment pas tant d’énergie que cela, insiste celui-ci, mais les communications radio, si. Le problème empire lorsque la distance augmente et qu’elle réclame des amplificateurs. »
Le réveil des radios économes
Même quand ces communications ne sont pas permanentes, les objets connectés consomment autant d’énergie à les « guetter » qu’à les transmettre. Olivier Berder et son équipe travaillent donc sur des wake-up radios, des systèmes presque passifs qui restent pourtant en écoute. Seules les informations utiles sont acheminées et réveillent le microcontrôleur principal du capteur. Ces systèmes ont par contre une portée plus faible que les radios classiques. « Les wake-up radios peuvent cependant être couplées à des radios classiques ou à des récepteurs mobiles, précise Olivier Berder. Comme elles n’ont pas besoin de synchronisation, elles conviennent particulièrement bien aux systèmes autonomes, étant donné le caractère souvent imprédictible des systèmes de récupération d’énergie. »
Entre le comportement asynchrone des radios et les caprices de la récupération d’énergie, l’ensemble réclame des algorithmes de contrôle adaptés. Des méthodes issues des intelligences artificielles, de l’apprentissage par renforcement et de la logique floue sont ainsi mises à contribution. En effet, quiconque a vu son smartphone s’éteindre alors qu’il affichait encore quelques pour cent de batterie le sait : le niveau de charge d’une batterie se mesure mal en temps réel. La récupération de l’énergie n’est pas non plus linéaire, car elle dépend surtout de facteurs que l’homme ne contrôle pas forcément : l’ensoleillement, les vibrations, le vent, les gradients thermiques…
Proposer des soins à distance
Cumulées, ces innovations élargissent encore le spectre des applications de l’Internet des objets. Jean-Philippe Diguet, directeur de recherche au sein du Laboratoire des sciences et techniques de l’information, de la communication et de la connaissance (LAB-Sticc)6, à Lorient, travaille avec son équipe Mocs7 sur des systèmes sur puce et des systèmes embarqués très variés. Il a ainsi conçu le réseau de capteurs portés BoWI8, auquel Olivier Berder a également participé9. S’il évoque de loin les combinaisons de capture de mouvements utilisées en modélisation 3D, BoWI déduit les postures et les gestes de l’utilisateur en fonction de l’orientation des capteurs, sans utiliser d’équipement extérieur.
peut proposer des
gestes à accomplir
et monitorer à
distance plusieurs
patients.
« Nous n’atteindrons jamais la précision de la motion capture, prévient Jean-Philippe Diguet, nous visons par exemple les applications de rééducation fonctionnelle. Un kinésithérapeute peut ainsi proposer un certain nombre de gestes à accomplir dans la journée et monitorer à distance plusieurs patients en même temps. Le système permettrait d’augmenter le nombre de séances et de réduire les coûts de transport, notamment pour les personnes à mobilité réduite. »
Du calcul haute performance à la sécurité
Preuve de la réactivité des chercheurs, le BoWI pourrait également servir à établir les comptes pénibilités mis en place depuis cet été. Les employeurs doivent en effet quantifier combien de fois leurs employés effectuent des gestes ou des postures jugés dangereux. Des capteurs légers et autonomes fourniraient des données fiables sur toute une journée de travail.
connectés forment
tout autant de
moyens d’accès à
des informations
privées.
Jean-Philippe Diguet s’est également penché sur certains des objets connectés les plus populaires du moment : les drones. Le projet international de coopération Swarms10, monté avec une équipe australienne, consiste à intégrer du calcul haute performance au sein d’un drone afin qu’il puisse lui-même, par le biais d’une caméra, interpréter son environnement et s’y adapter.
Le traitement d’image et l’intelligence artificielle se révèlent, tout comme la communication, gourmands en énergie. Il faut donc là encore trouver un fragile équilibre qui repose sur l’architecture des réseaux et choisir à quel endroit et à quel moment effectuer les opérations les plus énergivores. « Nous travaillons aussi sur la sécurité du hardware, ajoute Jean-Philippe Diguet. Les objets connectés forment tout autant de moyens d’accès à des informations privées. Personne n’a envie que les capteurs sur son corps préviennent son assureur d’un problème de santé. Les wake-up radios ont cet avantage : moins le nœud communique, moins il s’expose. »
Améliorer l’autonomie des capteurs
Du rhinocéros aux drones, les chercheurs s’échinent donc à améliorer l’autonomie des capteurs les plus difficiles d’accès. Ces travaux concernent aussi, bien évidemment, le corps humain. Le laboratoire Techniques de l’informatique et de la microélectronique pour l’architecture des systèmes intégrés (Tima)11 a ainsi travaillé sur la récupération d’énergie pour les pacemakers. Skandar Basrour, son directeur adjoint et professeur à l’université Grenoble Alpes, est spécialisé dans la récupération d’énergie directement par le capteur. « Les mouvements du cœur émettent de l’énergie mécanique sous forme vibratoire, détaille-t-il. Or nous pouvons la convertir en énergie électrique grâce à des systèmes piézoélectriques. On obtient ainsi des pacemakers sans fil qui ne nécessitent plus de réopérer tous les huit ans. »
Les matériaux piézoélectriques se polarisent électriquement lorsqu’ils subissent une contrainte mécanique, un principe utilisé par exemple dans les allume-gaz et le quartz des montres. Dans le cadre des capteurs et des réseaux, cette contrainte physique peut provenir des vibrations de n’importe quel support : une voiture qui roule, un pont très emprunté, une personne qui s’active… « Ces vibrations se trouvent généralement en dessous de 200 hertz, ce qui est faible, constate Skandar Basrour. Augmenter la taille des générateurs piézoélectriques améliorerait les rendements, mais cela peut entrer en conflit avec le cahier des charges du capteur. Nous étudions donc d’autres pistes, comme les polymères électroactifs, la récupération de l’énergie électrostatique, thermique, magnétique… Tout se joue parfois au nanowatt près, mais ces grandeurs ne sont plus négligeables dans le monde des objets nomades. »
Une fois encore, ces travaux se retrouvent à l’interface entre plusieurs domaines. Rien d’étonnant à ce qu’un réseau de connaissances variées se forme pour étudier des objets eux-mêmes connectés.
Notes
- 1. Unité CNRS/Univ. de Lille 1. Basé sur une structuration en hôtels à projet, l’Ircica s’appuie sur 3 plateformes expérimentales et sur 4 laboratoires partenaires : le Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille (CNRS/Univ. de Lille 1/Centrale Lille), l’Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie (CNRS/Centrale Lille/Isen Lille/Univ. de Lille 1/Univ. de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis), le Laboratoire de physique des lasers, atomes et molécules (CNRS/Univ. de Lille 1) et le Laboratoire d’électrotechnique et d’électronique de puissance de Lille (Univ. de Lille 1/Arts et Métiers ParisTech/Centrale Lille/HEI).
- 2. Unité CNRS/Centrale Lille/Isen Lille/Univ. de Lille 1/Univ. de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis.
- 3. Circuits systèmes et application multi-technologies.
- 4. Algorithmes et architectures adaptatifs pour les systèmes sans fils efficaces en énergie.
- 5. Unité CNRS/ENS Rennes/Inria/Insa Rennes/Institut Mines-Télécom/Univ. de Bretagne-Sud/Univ. de Rennes 1.
- 6. Unité CNRS/Télécom Bretagne/Univ. de Bretagne occidentale/Univ. de Bretagne-Sud.
- 7. Méthodes outils circuits systèmes.
- 8. Body World Interactions.
- 9. Financé par CominLabs, le projet BoWI a également impliqué l’équipe Cairn de l’Irisa.
- 10. Conception et contrôle d’essaims de drones de surveillance.
- 11. Unité CNRS/Grenoble INP/Univ. Grenoble Alpes.