Commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité : compte rendu de la semaine du 5 mars 2012

A la demande des sénateurs écologistes, le Sénat s’empare du sujet et organise une commission d’enquête.

Une série d’entretiens est organisée entre le 7 mars et fin-mai.
Ci-dessus copie de la (riche) journée du 7 mars.

COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION DENQUETE SUR LE COUT REEL DE LELECTRICITE Mercredi 7 mars 2012 Audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de lénergie, et de M. Jean-Yves Ollier, directeur général Audition de M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de lindustrie, chargé de lindustrie, de lénergie et de léconomie numérique Audition de M. Gérard Mestrallet, Président-directeur général de GDF Suez Audition de M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques viaCommission denquête sur le coût réel de lélectricité : compte rendu de la semaine du 5 mars 2012.

Mercredi 7 mars 2012

– Présidence de M. Ladislas Poniatowski, président –

Audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie, et de M. Jean-Yves Ollier, directeur général

M. Ladislas Poniatowski, président. – Mes chers collègues, monsieur le président de la Commission de régulation de l’énergie, monsieur le directeur général, nous entamons aujourd’hui les travaux de la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques.

En préambule, mes chers collègues, permettez-moi un bref rappel : cette commission d’enquête a été créée sur l’initiative du groupe écologiste, au titre de son « droit de tirage annuel », afin de déterminer le coût réel de l’électricité. Cette création a été acceptée par le bureau du Sénat.

Dans le cadre de ses travaux, la commission a souhaité entendre en premier lieu MM. de Ladoucette et Ollier, en leur qualité, respectivement, de président et de directeur général de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE.

Je vous rappelle qu’aucune des informations relatives aux travaux non publics d’une commission d’enquête ne peut être divulguée ou publiée, et qu’un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Avant de donner la parole à M. le rapporteur, pour qu’il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à MM. de Ladoucette et Ollier, conformément à la procédure applicable aux commissions d’enquête.

Monsieur de Ladoucette, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Philippe de Ladoucette prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. – Monsieur Ollier, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Jean-Yves Ollier prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. – Je vous remercie.

Monsieur le rapporteur, je vous donne la parole, en précisant que, pour l’efficacité de notre travail, vous avez souhaité adresser à l’avance un certain nombre de questions aux personnes auditionnées, afin qu’elles puissent préparer des interventions fructueuses.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Monsieur le président, les six questions que je vais poser, qui se subdivisent en sous-questions, ont été en effet préalablement communiquées à M. de Ladoucette, président de la CRE, et à M. Ollier, directeur général.

Première question, monsieur de Ladoucette, pouvez-vous expliciter la position que vous avez exprimée au sujet de l’évolution des tarifs régulés de l’électricité d’ici à 2016 ?

Sous l’effet de quels facteurs les tarifs actuels devraient-ils ainsi évoluer ? L’arrêt de la production d’un nombre substantiel de centrales nucléaires allemandes a-t-il eu un impact sur la gestion des pointes de consommation ? L’explosion des prix sur le marché « spot », constatée à l’occasion de la récente vague de froid, a-t-elle un impact durable ?

Deuxième question, ces tarifs représentent-ils aujourd’hui fidèlement le coût réel de l’électricité, selon la formule retenue dans la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME » ?

Le tarif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, fixé par la loi NOME, vous semble-t-il cohérent, d’une part, avec les conclusions du « rapport Champsaur 2 » et, d’autre part, avec celles du rapport de la Cour des comptes de janvier 2012 ? Dans le cas inverse, quelles sont les composantes de ces tarifs qui devraient être différentes ?

Le cas échéant, pouvez-vous préciser quels sont les acteurs économiques subissant ce différentiel ? Peut-on considérer, après la mise en place de l’ARENH, qu’il existe une rente nucléaire liée à la différence entre le coût de production, y compris les coûts fixes, et le prix de vente ? Si oui, qui, de l’exploitant ou de l’actionnaire, bénéficie de cette rente ? Le système belge de prélèvement de l’État au titre de la rente nucléaire, institué en 2008 à la charge des producteurs d’énergie atomique, serait-il transposable en France ?

Troisième question, quel jugement portez-vous sur le système d’actifs dédiés à la couverture d’une partie des charges futures du nucléaire, lequel est remis en cause par la Cour des comptes ?

Préconisez-vous une évolution de ce dispositif ?

Quatrième question, pouvez-vous nous dire jusqu’à quel niveau le tarif de rachat de l’électricité issue des différentes filières de production d’énergies renouvelables devra évoluer afin de couvrir les coûts de soutien à ces filières ?

Les modalités de fixation du tarif de rachat fixées par la loi de finances pour 2011 permettront-elles de rattraper le « stock » de dépenses d’EDF non compensées jusqu’à présent ? La CRE a-t-elle les moyens de déterminer le coût réel de chaque filière ? Nous sommes particulièrement intéressés.

Ces filières peuvent-elles, à court ou à moyen terme, produire de l’électricité à un coût comparable à celui des énergies fossiles ? Dans quelle mesure la montée en puissance des énergies renouvelables a-t-elle un impact sur les investissements à effectuer pour rénover et adapter notre réseau de transport d’électricité ?

Cinquième question, quel est le niveau d’investissement souhaitable dans les années à venir sur les réseaux de transport et de distribution d’électricité ?

Comment cela se traduirait-il dans les tarifs ?

Sixième et dernière question, pensez-vous que l’acquisition, à titre onéreux, de l’ensemble de leurs quotas d’émission de gaz à effet de serre par les électriciens, à compter de 2013, aura des conséquences sur le prix de l’électricité ou ce coût est-il déjà totalement intégré par les acteurs économiques ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – Il n’y a que six questions, mais en effet beaucoup de sous-questions ! (Sourires.)

Monsieur de Ladoucette, vous avez la parole pour répondre, si possible dans l’ordre des questions.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de toutes ces questions. Si vous le permettez, j’y répondrai après les avoir un peu réorganisées, pour éviter de passer d’un sujet à l’autre de façon désordonnée. Cependant, je vais m’efforcer de répondre à toutes vos interrogations.

Ainsi, après la première question, qui concerne les propos que j’ai tenus le 17 janvier 2012, j’aborderai, dans l’ordre, la tarification, c’est-à-dire la production, avec l’ARENH, l’acheminement, au travers des réseaux, et, enfin, les taxes, en évoquant la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, et les énergies renouvelables. Nous aurons, de la sorte, évoqué l’ensemble des sujets qui vous intéressent.

En ce qui concerne l’explicitation des propos que j’ai tenus lors d’un colloque organisé le 17 janvier dernier, je crois utile, par précaution oratoire, de rappeler dans quelles conditions ces déclarations ont été faites.

J’avais à l’époque bien précisé qu’il s’agissait d’une estimation d’évolution des tarifs à législation constante, c’est-à-dire en ne changeant rien à ce qui existe aujourd’hui. Par ailleurs, je suis parti du principe que l’on appliquait cette législation dans toute sa dimension, de manière normale, ce qui n’a pas toujours été le cas. Par exemple, la CSPE a été lissée dernièrement, de sorte que les textes n’ont pas été appliqués comme il avait été prévu initialement.

Une fois ce contexte précisé, je tiens à vous exposer les trois éléments qui m’ont amené à dire que les tarifs pourraient considérablement augmenter d’ici à 2016.

Comme les évolutions tarifaires concernant l’électricité interviennent en été depuis plusieurs années, l’échéance retenue serait juillet ou août 2016. Ma déclaration portait donc sur cinq exercices tarifaires.

Le premier élément est lié aux évolutions concernant l’ARENH. Vous savez que, en application de la loi NOME, à partir de 2014, il revient à la CRE de proposer le montant de l’ARENH au Gouvernement, et non l’inverse. En outre, à partir du 1er janvier 2016, c’est également la CRE, et non le Gouvernement, qui proposera l’évolution des tarifs de l’électricité. Enfin, il faut avoir un dernier élément en tête : la loi NOME prévoit que la période intérimaire jusqu’à 2016 doit être mise à profit pour faire en sorte que les tarifs réglementés de l’électricité rattrapent le prix de l’ARENH. Or, aujourd’hui, l’écart est de 4 % pour les « tarifs bleus » et de 5 % pour les tarifs professionnels.

Le deuxième élément a trait au coût de l’acheminement, au travers du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité, le TURPE.

Je suis parti du principe, assez général – et la mesure est plutôt conservatrice -, que le TURPE évoluerait chaque année de 2 % hors inflation. Avec une moyenne d’inflation de 2 %, son évolution prévisible est donc de 4 % par an. Le TURPE aura donc un impact d’environ 47 % sur les tarifs réglementés.

Le troisième élément tient à l’évolution de la CSPE, laquelle couvre un certain nombre de charges : la péréquation tarifaire, les éléments sociaux et, surtout, la contribution pour les énergies renouvelables.

La conjonction de ces trois éléments m’a conduit à dire qu’il fallait probablement envisager une augmentation des tarifs réglementés de l’électricité de l’ordre de 30 %.

Vous devez garder à l’esprit, même si cela n’a pas une influence considérable pour l’instant, que nous avons retenu comme prix de marché de gros celui qui est actuellement prévu pour 2013, c’est-à-dire 54 euros le mégawattheure.

Grosso modo, la répartition, à 1 % près, se fait à hauteur de un tiers pour chacun de ces éléments. Pour être très précis, cette hausse de 30 % se décompose comme suit : pour le TURPE, de l’ordre de 9 % ; pour l’ARENH, plus le complément de fournitures, plus les coûts commerciaux, de l’ordre de 11 %; pour la CSPE, de l’ordre de 10 %.

Voilà les éléments de réponse que je tenais à apporter à votre première question.

Je vais poursuivre en restant volontairement dans le cadre de l’ARENH, donc dans la partie « production ». Vous m’avez demandé si les tarifs représentaient aujourd’hui fidèlement le coût réel de l’électricité, selon la formule retenue dans la loi NOME.

Vous le savez, les tarifs ne sont pas encore construits par empilement des coûts, notamment à partir du prix de l’ARENH, comme le prévoit la loi NOME pour le début de l’année 2016. Par conséquent, il existe un « ciseau tarifaire », que j’ai évoqué tout à l’heure : les conditions d’approvisionnement des fournisseurs alternatifs ne leur permettent pas, aujourd’hui, de faire des offres compétitives aux clients bénéficiant du tarif réglementé, puisqu’ils n’ont pas de moyens de production compétitifs en propre.

Je le répète, la hausse à opérer sur les tarifs des grands clients professionnels est de l’ordre de 5 %, contre 4 % pour les clients résidentiels et les petits professionnels. Ces chiffres ont été donnés par la CRE dans son avis sur la hausse des tarifs réglementés au 1er juillet 2011.

Nous veillerons chaque année à ce que la problématique du « ciseau tarifaire » soit mise en évidence. Avant le 31 décembre 2015, sur la base de rapports de la CRE et de l’Autorité de la concurrence, les ministres chargés de l’énergie et de l’économie doivent établir un rapport sur le dispositif ARENH et évaluer naturellement son impact sur le développement de la concurrence.

Vous m’avez également demandé si le tarif de l’ARENH fixé par la loi NOME me semblait cohérent, d’une part, avec les conclusions du rapport Champsaur 2 et, d’autre part, avec celles du rapport de la Cour des comptes de janvier 2012.

Si je voulais faire une réponse très rapide, je dirais deux fois « oui », mais le sujet mérite sans doute de plus longs développements.

En premier lieu, le tarif est cohérent avec les conclusions du rapport Champsaur 2, la CRE ayant repris en grande partie la même méthodologie pour préparer son avis sur le prix de l’ARENH. Je m’explique : la loi NOME prévoit qu’un décret fixe les modalités de calcul selon lesquelles la CRE devra définir le prix de l’ARENH. Ce décret n’a toujours pas été pris, mais il devra l’être au plus tard le 31 décembre 2013.

En l’absence de décret, la CRE a élaboré sa propre méthode, qui a donné les résultats que vous savez, c’est-à-dire une fourchette comprise entre 36 euros et 39 euros le mégawattheure. Cette méthode est, à peu de chose près, la même que celle qui est retenue dans le rapport Champsaur 2.

La situation peut évoluer si le décret définissant les modes de calcul à utiliser par la CRE fournit des paramètres différents. Mais il reviendra au Gouvernement d’en décider. La valeur de l’ARENH pourra alors évoluer à la hausse ou à la baisse. En tout état de cause, il n’y a aucun problème à l’égard du rapport Champsaur 2.

S’agissant de la cohérence avec le rapport de la Cour des comptes de janvier 2012, je ne relève pas plus de difficultés. En effet, ce n’est pas le même sujet qui est traité. La Cour a exposé quatre méthodes de valorisation du capital résiduel immobilisé dans les centrales nucléaires, mais n’a pris position pour aucune d’entre elles, se contentant de rappeler que chacune répond à une question différente. Elle précise d’ailleurs que la « méthode Champsaur » est adaptée pour établir un tarif, en l’espèce le prix de l’ARENH.

Concernant la méthode des coûts courants économiques, les CCE, la Cour des comptes explique que cette approche cherche à donner une idée de ce que coûterait aujourd’hui la reconstruction du parc nucléaire historique, à technologie constante. Elle détermine le prix qu’un acteur économique entrant sur le marché de l’approvisionnement en énergie d’origine nucléaire serait prêt à payer pour louer le parc actuel, plutôt que de le reconstruire.

De notre point de vue, il n’y a donc pas plus d’incohérence avec le rapport de la Cour des comptes qu’avec le rapport Champsaur 2. Bien entendu, je vous laisse juge de cette affirmation, monsieur le rapporteur.

Vous souhaitez aussi savoir si l’on peut considérer, après la mise en place de l’ARENH, qu’il existe une rente nucléaire liée à la différence entre le coût de production, y compris les coûts fixes, et le prix de vente. Dans l’affirmative, vous voudriez savoir qui, de l’exploitant ou de l’actionnaire, en est le bénéficiaire.

À notre sens, il n’existe pas aujourd’hui de rente nucléaire. Si les 3 euros par mégawattheure de provision pour Fukushima – c’est-à-dire la différence entre ce que nous avions calculé, 39 euros, et les 42 euros constituant aujourd’hui le prix de l’ARENH -, sont surestimés, ils représenteraient une avance de trésorerie faite à EDF, avance que devrait logiquement rembourser l’opérateur. Nous verrons ce point lorsque nous aurons constaté les investissements effectivement réalisés.

La vente de l’ARENH par EDF aux fournisseurs alternatifs ne génère pas de rente au profit de l’opérateur historique.

À cet égard, il faut garder à l’esprit deux éléments fondamentaux. D’une part, EDF vend l’électricité au prix de l’ARENH, avec un « complément marché » à ses clients en offre de marché. D’autre part, les tarifs réglementés de vente ne prennent pas encore en compte le prix de l’ARENH. Sur l’ensemble de ces ventes, EDF vend donc l’électricité produite par son parc nucléaire historique, au plus, au prix de l’ARENH et ces prix couvrent les coûts de production dudit parc. Ils ne génèrent donc pas de rente nucléaire.

En outre, vous me demandez si le système belge de prélèvement de l’État au titre de la rente nucléaire institué, en 2008, à la charge des producteurs d’énergie atomique serait transposable en France. À mon sens, il pourrait être transposé, à condition qu’EDF vende la totalité de son électricité nucléaire au prix de marché, lequel est aujourd’hui significativement supérieur au prix régulé de l’ARENH.

Une solution différente, aboutissant à un système d’impôt négatif, aurait pu être imaginée par le Gouvernement et par le législateur lors de la discussion de la loi NOME. Ce n’est pas le choix fait à l’époque. On ne peut donc pas transposer aujourd’hui le système belge sur le système ARENH, sauf à tout changer, ce qui est de la responsabilité du législateur. En l’état actuel de la législation, une telle solution serait incohérente.

Par ailleurs, vous souhaitez savoir si l’acquisition à titre onéreux de l’ensemble de leurs quotas d’émission de gaz à effet de serre par les électriciens à compter de 2013 aura des conséquences sur le prix de l’électricité ou si ce prix est déjà totalement intégré par ces acteurs économiques.

Je dois reconnaître qu’une investigation complémentaire serait nécessaire, mais nous estimons aujourd’hui que ce prix est déjà très largement intégré. Il est vrai que le prix du CO2 est aujourd’hui extrêmement bas, à moins de 10 euros la tonne.

Que se passerait-il si, comme en 2004 et en 2005, le prix du CO2 montait pour atteindre des niveaux assez élevés ? À l’époque, la hausse s’était répercutée sur les prix de gros de l’électricité et, par conséquent, sur les prix libres de l’électricité. Je ne suis pas en mesure de faire une réponse définitive. Déposant sous serment, je ne vois pas comment je pourrais être catégorique sur une prévision. Je serai donc prudent, en disant que, aujourd’hui, à moins de 10 euros la tonne, le prix est intégré. En revanche, si le prix du CO2 est de 30 euros la tonne, il faut s’attendre à une répercussion.

Pour terminer sur cette partie, vous m’avez demandé de vous faire part de mon jugement sur le système d’actifs dédiés à la couverture d’une partie des charges futures du nucléaire, système qui est remis en cause par la Cour des comptes. Vous souhaitez en outre savoir si je préconise une évolution de ce dispositif.

Tout d’abord, je dirai que ce sujet relève non pas de la CRE, mais de la Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, la CNEF. Je ne connais pas précisément cette institution, mais elle est incontestablement compétente. (Sourires.)

Par ailleurs, la direction générale de l’énergie et du climat, la DGEC, est chargée, en tant qu’expert, de valider le montant des actifs dédiés.

Je souhaite ajouter un commentaire.

La Cour des comptes n’a pas complètement remis en cause le dispositif, mais elle propose de s’interroger sur la composition du portefeuille des actifs dédiés. Je dois dire que la CRE a également des interrogations sur la liquidité, telle qu’elle est prévue dans la loi. Ainsi, à notre sens, Réseau de transport d’électricité, RTE, ne serait pas parfaitement liquide sous cet angle-là. Cependant, nous ne disposons pas de cette compétence, donc de la pertinence pour nous exprimer sur ce sujet.

Le deuxième bloc de questions porte sur la problématique « réseaux et interconnexions ».

Vous m’avez demandé si l’arrêt de la production d’un nombre substantiel de centrales nucléaires allemandes a eu un impact sur la gestion des pointes de consommation. Ma première réponse, très rapide, est négative.

Je m’explique. Même si je ne peux pas dire qu’il n’y en aura pas un jour, je suis en mesure d’affirmer que, précisément, le jour de la pointe de consommation que tout le monde a en tête, il n’y a pas eu véritablement d’impact.

Néanmoins, de façon plus générale, je dois à la vérité de dire que l’arrêt des huit réacteurs nucléaires en Allemagne peut avoir des conséquences sur la gestion des pointes de consommation futures, et j’insiste sur cet adjectif, car ce n’est pas ce qui s’est passé.

Tout d’abord, l’arrêt des centrales réduit les marges du parc de production allemand pour faire face à la consommation domestique. Par conséquent, la production d’électricité pouvant être exportée vers la France sera moins importante.

Ensuite, le coût de production du nucléaire étant assez réduit, l’arrêt des réacteurs allemands est de nature à renchérir le prix de gros de l’électricité outre-Rhin, et, partant, le coût d’approvisionnement en électricité pour la France pendant les périodes de pointe. Je tiens quand même à souligner un élément très important : le couplage des marchés, impliquant pour l’instant des mécanismes de gestion de l’interconnexion, non seulement entre la France et l’Allemagne, mais également avec le Benelux, en attendant plus, est fondamental, car, en imposant de s’approvisionner auprès de la centrale la moins coûteuse, il tend à faire baisser le prix de gros français, lorsque l’on importe du courant des pays adjacents.

En résumé, l’arrêt des centrales nucléaires allemandes peut faire monter globalement le prix de référence allemand, mais l’importation d’électricité allemande se fera toujours dans le souci de la recherche d’un optimum économique, peut-être moins élevé qu’avant, mais toujours optimal.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Moins élevé qu’avant ? Nous connaissons tous le prix du charbon allemand. Aussi, globalement, les prix allemands vont augmenter du fait de l’arrêt des centrales.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Effectivement, les prix de gros en Allemagne vont augmenter. Mais, si l’on importe de l’électricité allemande, cela voudra dire qu’elle sera, à ce moment-là, moins chère que celle qui sera produite en France, sinon, nous n’irons pas la chercher en Allemagne !

M. Ladislas Poniatowski, président. – Moins chère, mais plus chère qu’aujourd’hui !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Tout à fait !

M. Ladislas Poniatowski, président. – Nous sommes d’accord !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Tout est dans la relativité !

Enfin, compte tenu des contraintes pesant sur le réseau de transport allemand, les centrales nucléaires arrêtées étant plutôt situées au sud du pays et la production, notamment celle des éoliennes, se trouvant au nord du pays, des investissements importants sont à prévoir. Les capacités du réseau permettant les échanges entre la France et l’Allemagne seront, de ce fait, un peu limitées. Mais nous parlons là des conséquences éventuelles futures que l’on peut imaginer.

Parlons plus précisément du pic de consommation du mois de février.

Lors du record absolu de consommation atteint avec 101 700 mégawatts, nous avons importé 8 350 mégawatts, soit 8,2 % de notre consommation. Cette importation provenait essentiellement d’Allemagne, à hauteur de 2 800 mégawatts, puis d’Angleterre, avec 2 000 mégawatts, de Belgique, avec 1 600 mégawatts, et enfin d’Espagne, avec 1 000 mégawatts.

Mme Laurence Rossignol. – Pouvez-vous nous redonner ces chiffres ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – On ne nous a pas transmis les mêmes pour le premier des deux jours de pointe.

Selon EDF, nous n’aurions importé que 180 mégawatts d’Allemagne et plus de 3 000 mégawatts d’Angleterre.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Le 8 février, à dix-neuf heures,…

M. Ladislas Poniatowski, président. – Je parle du 7 février, le premier jour.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Le record absolu de consommation de 101 700 mégawatts se situe le 8 février, à dix-neuf heures.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Oui, absolument !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Je reprends la répartition des importations par la France : 2 800 mégawatts d’Allemagne ; 2 000 mégawatts d’Angleterre ; 1 600 mégawatts de Belgique ; 1 000 mégawatts d’Espagne ; 900 mégawatts d’Italie ; 50 mégawatts de Suisse.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Et nous avons vendu de l’électricité à l’Italie ce même jour !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Si vous le dites ! (Sourires.)

Pour compléter ces chiffres, il faut savoir que le 9 février, jour où le pic de prix, et non de consommation, a été atteint, c’est-à-dire 1 938,50 euros le mégawattheure, la répartition des importations a été à peu près la même, puisque nous avons importé 2 500 mégawatts d’Allemagne, 2 000 mégawatts d’Angleterre, et ainsi de suite.

On voit bien que les décisions prises par le gouvernement allemand sur le nucléaire n’ont pas eu d’impact sur cette gestion de la pointe,…

M. Jean Desessard, rapporteur. – Absolument !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – … sachant que, sur la période allant du 1er au 15 février 2012, la France a eu un solde importateur net de 1,2 térawattheure. Sur la seule frontière avec l’Allemagne, ce solde est de 0,85 térawattheure.

L’Allemagne reste donc un élément important, notamment, de notre système de gestion des pointes.

De façon corrélative, vous m’avez interrogé pour savoir si l’explosion des prix sur le marché spot constatée à l’occasion de cette vague de froid aurait un impact durable. Je ne le pense pas. Les niveaux atteints, aux alentours de 2 000 euros le mégawattheure, sont retombés assez rapidement par la suite, puisque, voilà quelques jours, et ce doit être encore le cas aujourd’hui, le prix de gros était de l’ordre de 51 euros le mégawattheure en moyenne.

Il n’y a donc pas eu d’effet durable.

Cela étant, force est de constater que l’occurrence d’un pic de prix traduit un problème structurel. En effet, la pointe de consommation d’électricité croît très fortement et, bien que la France conserve des marges d’exportation importantes, le parc de production n’est pas toujours suffisant pour faire face aux pointes de consommation lors des vagues de froid, les interconnexions étant de plus en plus nécessaires pour assurer la sécurité d’approvisionnement de notre pays.

Il s’agit là d’un élément très important à prendre en considération dans le cadre de la construction du marché européen de l’énergie.

De façon plus générale, vous souhaitez savoir quel est le niveau d’investissement souhaitable dans les années à venir sur les réseaux de transport et de distribution d’électricité, dans quelle mesure la montée en puissance des énergies renouvelables peut avoir un impact sur les investissements à effectuer et comment cela se traduirait dans les tarifs.

Je ne sais pas si votre question porte sur une vision à très long terme, par exemple à l’horizon de 2020 ou de 2025, ou si elle s’applique à un terme plus rapproché, par exemple sur le prochain tarif d’accès au réseau. Sur les tarifs, j’ai en partie répondu tout à l’heure en disant que nous avions, dans l’état actuel de la réglementation, envisagé une augmentation du TURPE de 2 % hors inflation, soit environ 4 % avec l’inflation. Le TURPE 4 est actuellement en cours d’élaboration, le TURPE 3 étant en fin de parcours. Ce futur tarif sera appliqué à partir de l’été 2013. La première consultation sur sa structure sera prochainement en ligne.

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – Elle le sera dans les deux jours qui viennent.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – J’aborde maintenant la montée en puissance des énergies renouvelables, en Europe et en France, qui constitue un élément central des investissements futurs concernant les réseaux.

Une partie de la production d’électricité d’origine renouvelable est intermittente et peu ou pas pilotable, alors que les réseaux électriques ont été conçus à l’origine pour acheminer l’électricité produite de façon centralisée dans un seul sens, des centres de production vers les centres de consommation. L’injection de cette production d’origine renouvelable nécessite un fonctionnement bidirectionnel des réseaux, et donc leur adaptation.

Toutes choses égales par ailleurs, une modification substantielle du mix énergétique aurait probablement des incidences sur les investissements nécessaires dans les réseaux, non seulement les réseaux de distribution, mais également les réseaux de transport. Ce point, dont on parle assez peu, est important. Je ne sais pas si vous auditionnerez M. Dominique Maillard, président de RTE, mais, si tel est le cas, il vous en parlera.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Nous avons prévu de l’entendre, ainsi que Mme Michèle Bellon, présidente d’ERDF. Nous pourrons ainsi évoquer et le réseau de transport et le réseau de distribution.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – S’agissant très précisément de la situation française au regard du développement des énergies renouvelables, les installations raccordées au domaine de tension HTA, le plus souvent les éoliennes et les centrales de cogénération, nécessitent le développement d’infrastructures de réseau dédiées, dont le financement est assuré par le producteur.

Les coûts « réseau de distribution » de ce type de production sont donc imputés correctement aux agents économiques qui décident l’investissement. Ce n’est pas le réseau.

Les panneaux photovoltaïques sont, pour la plupart, raccordés, eux, en basse tension, et le raccordement au réseau de distribution de ces installations de production pose de nouveaux problèmes. En effet, les éventuels renforcements du réseau de distribution ne sont pas toujours financés par le producteur lors du raccordement.

Un débat est né entre ERDF et la CRE sur les coûts engendrés par le développement de la production photovoltaïque à la charge du gestionnaire du réseau, puisque nous n’avons pas les mêmes chiffres. Mais nous sommes tous d’accord pour dire qu’il y a un coût ! Est-il de l’ordre de 400, 500, 600 ou 700 millions d’euros ? Il s’agit d’un débat technique entre nous, qui sera tranché lorsque nous aurons achevé l’élaboration du prochain TURPE.

M. Ronan Dantec. – S’agit-il d’un coût annuel ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Non, il s’agit d’un coût forfaitaire.

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – C’est un coût d’investissement global sur le réseau de distribution pour la période allant de 2012 à 2020.

M. Ladislas Poniatowski, président. – À quoi ce coût correspond-il exactement ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Il s’agit du coût lié au renforcement des réseaux HTA consécutif au raccordement d’installations de production photovoltaïque sur les réseaux BT et HTA. À ce jour, nous parlons de coûts prévisionnels, et non de coûts observables.

Mme Laurence Rossignol. – Ce coût ne concerne-t-il que le photovoltaïque ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – Non, il porte sur toutes les énergies renouvelables.

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – Non, seulement sur le photovoltaïque.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Il s’agit du développement de la production photovoltaïque à la charge du gestionnaire de réseau.

Selon ERDF, les coûts engendrés par le développement de la production photovoltaïque, à la charge du gestionnaire de réseau, seraient de 735 millions d’euros d’ici à 2020.

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – Si l’on suit le scénario PPI.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Bien entendu, mais, s’agissant du photovoltaïque, je pense qu’il sera largement suivi.

Il y a un débat sur le coût : ERDF penche pour 735 millions d’euros, nous l’estimons plutôt à 400 millions d’euros.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Attendez, il semble que nous parlions de choses différentes.

Nous voulons parler du coût du branchement sur le réseau, qui, de toute façon, est à la charge du producteur, que ce soit du photovoltaïque ou de l’éolien.

En revanche, le chiffre que vous évoquez concerne les coûts du renforcement du réseau rendu nécessaire par l’injection de cette production supplémentaire. Aujourd’hui, il est facile d’avoir des chiffres précis sur le photovoltaïque, mais pas encore sur l’éolien. Cela viendra bientôt. Et cette facture est totalement à la charge du distributeur ou du transporteur.

Il faut donc bien faire la distinction entre le coût du branchement et le coût du renforcement du réseau de transport et de distribution.

M. Ronan Dantec. – S’agissant du photovoltaïque, à l’évidence, le réseau a besoin d’être modifié, mais, s’agissant du grand éolien, dont la production part tout de suite sur de la HT, il n’y a pas besoin de renforcement. La production par éolienne implique des besoins de gestion, mais pas de renforcement.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – C’est la raison pour laquelle je n’ai rien dit sur ce point pour l’instant. Je n’ai parlé que du photovoltaïque.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Alors, nous sommes d’accord !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Je le répète, il y a un débat sur le coût exact. Les chiffres ne sont donc pas à prendre dans l’absolu. Nous sommes dans du prévisionnel, dans de l’estimation et dans la construction d’un tarif. Ce débat sera tranché, après des discussions entre l’opérateur ERDF et la CRE, qui va définir le prochain TURPE.

Voilà ce que je peux dire au sujet de l’impact des énergies renouvelables sur les investissements.

Il faut savoir que le fait de définir un tarif d’accès au réseau ne garantit pas que les investissements prévus seront réalisés. Ce qui permet de « boucler » le système, si je puis dire, c’est la possibilité que donne la loi à la CRE d’approuver les programmes d’investissement du transporteur RTE. D’un côté, la CRE élabore le TURPE et, de l’autre, elle approuve chaque année le programme d’investissements de RTE, ce qui n’est pas le cas pour ERDF, mais je ne dis pas qu’il faudrait qu’il en soit ainsi. À cela s’ajoute dorénavant une dimension européenne, puisque la troisième directive a été transposée en France dans le code de l’énergie.

Depuis mai 2011, la CRE a une mission de suivi du schéma décennal de développement que doit élaborer chaque année le gestionnaire du réseau de transport. Chaque année, RTE élabore donc un schéma glissant sur les dix années à venir. Le régulateur doit recueillir l’avis des acteurs du marché sur ce point et émettre un avis sur le schéma, en prenant en compte les besoins futurs en matière d’investissement et la cohérence de ce schéma avec le plan décennal proposé par l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie, l’ACER, laquelle a une vision globale européenne.

RTE a soumis à la CRE son premier plan décennal en janvier 2012. C’est donc tout récent. Une consultation publique sur ce schéma est prévue en avril 2012. RTE y annonce un besoin d’investissement d’environ 10 milliards d’euros pour les dix ans à venir. De cette somme sont exclus les investissements de renouvellement, ainsi que ceux qui sont relatifs à la logistique ou aux outils de gestion du marché et du système électrique. Pour vous donner une idée plus précise, ces deux catégories de dépenses représentent en 2012 respectivement 25 % et 10 % du budget annuel d’investissement de RTE, de l’ordre de 1 milliard à 1,2 milliard d’euros. La somme de 10 milliards d’euros, qui ne prend pas en compte ces postes de dépense, est donc très importante.

Dans le cas de la distribution, sujet assez délicat, que beaucoup d’entre vous connaissent de très près, il nous paraît nécessaire que l’ensemble des parties prenantes aient une vision globale des besoins d’investissement et des coûts associés, au niveau tant départemental que national.

Les nouvelles conférences départementales réunies désormais sous l’égide des préfets, instituées par l’article 21 de la loi NOME, doivent être le lieu de cet exercice de transparence et d’explication.

Quelques opérations ont d’ores et déjà été menées. Vous-même, monsieur le président, avez une expérience dans ce domaine et vous avez bien voulu nous en faire part. Cet apport est tout à fait instructif.

La procédure permettra de cerner réellement les problèmes et de dépassionner un débat délicat entre les autorités concédantes, ERDF, son actionnaire et la CRE. Beaucoup d’acteurs sont concernés par ce sujet extrêmement compliqué, sur lequel la CRE doit se pencher dans le cadre de l’élaboration du TURPE, qui concerne directement les élus locaux.

La CRE a donc prévu une augmentation du TURPE de l’ordre de 2 % hors inflation, comme je vous l’ai annoncé tout à l’heure, pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, il faut améliorer la qualité d’alimentation pour faire face à l’augmentation de la durée moyenne de coupure constatée sur les réseaux de distribution, conséquence d’une baisse de l’investissement dans le réseau de distribution entre 1994 et 2003. En effet, on avait atteint un sommet d’investissements en 1993 et un plancher en 2003-2004, passant de 3 milliards d’euros à 1,4 milliard d’euros. Ce montant a remonté par la suite, mais les conséquences de cette baisse de l’investissement peuvent se constater aujourd’hui dans la qualité de l’approvisionnement.

Par ailleurs, les distributeurs se sont engagés dans des démarches de modernisation des réseaux concernant en particulier les dispositifs de comptage, pour répondre aux enjeux liés au développement de la production décentralisée.

Je reviens sur les dispositifs de comptage, car il s’agit d’un sujet également très sensible. On parle ainsi beaucoup de Linky actuellement. Il est important pour les gestionnaires de réseaux de distribution d’améliorer la qualité de leur service et de mieux gérer la montée en puissance des énergies renouvelables.

En outre, les besoins de raccordement et de renforcement des réseaux de transport et de distribution consécutifs au nouveau cycle d’investissement dans la production d’électricité provoquent un certain renchérissement.

Enfin, la construction de nouvelles infrastructures d’interconnexion, dont je vous ai parlé tout à l’heure et qui sont très importantes pour le fonctionnement des réseaux européen et français, est un facteur d’augmentation des coûts.

Pour mémoire, ERDF a investi 2,8 milliards d’euros en 2011, contre 1,8 milliard d’euros en 2007, soit une augmentation considérable, qu’il faut bien financer. In fine, c’est donc le consommateur qui doit supporter ces charges supplémentaires.

Nous devons donc trouver un équilibre entre les demandes, souvent pertinentes et justifiées, des gestionnaires de réseau, celles, toujours pertinentes et justifiées, des autorités concédantes, et les conséquences tarifaires qu’elles induisent. La tâche n’est pas toujours simple et l’augmentation de 2 % repose plutôt sur une vision assez conservatrice de la réalité.

J’en viens maintenant aux énergies renouvelables et à la CSPE.

Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité savoir jusqu’à quel niveau la part de la CSPE consacrée au rachat de l’électricité issue des différentes filières de production d’énergies renouvelables devrait évoluer pour couvrir les coûts de soutien à ces filières.

La CSPE est le troisième élément apparaissant sur la facture d’électricité, mais le consommateur n’en a pas une vision très nette dans la mesure où cette taxe a sa vie propre et évolue indépendamment de toute augmentation du tarif réglementé. Le montant de la CSPE est normalement fixé en début d’année. Au cours de la période transitoire, elle aura évolué à la fois au 1er janvier et au 1er juillet, avant de revenir à un système plus traditionnel.

Pour favoriser le développement des énergies renouvelables, les pouvoirs publics peuvent recourir à deux instruments économiques.

Le premier instrument, ce sont les tarifs d’achat. Les fournisseurs historiques – EDF et les ELD, en métropole ; EDF-SEI dans les zones non interconnectées, ainsi que Électricité de Mayotte – se voient dans l’obligation d’acheter, sur quinze ou vingt ans, la production d’électricité obtenue à partir de sources renouvelables, et ce à un tarif fixé par arrêté après avis de la CRE.

Nous vérifions si les tarifs induisent une rémunération normale des capitaux investis. Le système ne permet pas de contrôler la quantité d’énergie bénéficiant du soutien public. Si les tarifs sont fixés à un niveau trop élevé, ils peuvent conduire à un développement non contrôlé d’une filière à but spéculatif.

La forte croissance de la filière photovoltaïque en 2009 et en 2010 illustre le genre de « conséquences » – je ne sais quel terme employer – susceptibles d’être causées par un mauvais calibrage du tarif de départ. Mais ce problème n’est pas propre à la France, l’Allemagne l’a également rencontré. Ce n’est donc pas évident à mettre en place.

Second instrument, en dehors des tarifs d’achat : les appels d’offres pour les moyens de production. Il aboutit à fixer, ex ante, la quantité d’énergies renouvelables bénéficiant du soutien public. Sous cette contrainte globale, les projets sont sélectionnés en fonction de plusieurs critères, notamment le prix d’achat proposé par les candidats. L’électricité produite est vendue au fournisseur historique au prix fixé dans l’offre.

Un tel système permet de maîtriser la production d’énergies renouvelables qui bénéficie du soutien public, au moindre coût pour la collectivité.

C’est vrai qu’il coûte moins cher, mais c’est vrai aussi qu’il développe moins !

M. Jean Desessard, rapporteur. – C’est logique !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Au titre de l’année 2012, la Commission de régulation de l’énergie évalue à 4,254 milliards d’euros les charges prévisionnelles de service public, dont 2,216 milliards d’euros liés aux énergies renouvelables, soit 52 % du total. C’est la première année où la part des énergies renouvelables dépasserait le seuil de 50 %. J’insiste sur le fait qu’il s’agit bien de prévisions.

Inscrivons-nous maintenant dans une perspective un peu plus lointaine, à l’horizon 2020. La CRE est, bien entendu, partie des principes qui ont été définis, retenant l’hypothèse que la programmation pluriannuelle des investissements, PPI, et les engagements du Grenelle seraient atteints à cette date. Mais ce n’est pas une certitude. Ils seront sans doute dépassés pour le photovoltaïque, mais rien n’est sûr pour l’éolien sur terre et en mer.

Si nous ajoutons à ces hypothèses un prix de marché de 54 euros le mégawattheure en 2013 et une inflation de 1 % par an, les charges dues, en 2020, aux énergies renouvelables sont estimées à 7,5 milliards d’euros, sur un montant global de CSPE d’un peu moins de 11 milliards d’euros. En d’autres termes, on atteindrait à peu près 70 % pour la part de la CSPE consacrée aux énergies renouvelables.

Mais, je le répète, il ne s’agit que de prévisions. À l’évidence, si les prix du marché de gros montent et, par exemple, atteignent 110 ou 120 euros, la CSPE, elle, diminuera considérablement.

Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité savoir si les modalités de fixation du montant de la contribution unitaire définies par la loi de finances pour 2011 permettraient de rattraper le « stock » de dépenses d’EDF non compensées jusqu’à présent.

Selon nos estimations sur l’évolution des charges, toujours fondées sur les mêmes hypothèses de départ, la croissance annuelle maximale de la contribution unitaire de 3 euros le mégawattheure, inscrite dans le code de l’énergie, permettra de combler le déficit d’EDF d’ici à la fin de 2015. Ce calcul n’intègre pas les intérêts intercalaires dont EDF souhaiterait qu’ils lui soient payés.

La CRE a-t-elle les moyens de déterminer le « coût réel » de chaque filière ? Voilà une question extrêmement difficile, surtout lorsque l’on dépose sous serment, et j’aurais tendance à vous répondre par la négative pour être certain de ne pas dire de bêtises !

Pour être totalement honnête, je précise que les appels d’offres permettent à la CRE de compléter son expertise technique et économique sur les énergies renouvelables, par le biais des plans d’affaires des candidats qui nous sont transmis, et cela représente énormément de dossiers à traiter.

Par ailleurs, lorsque la CRE doit rendre un avis sur un tarif d’achat, elle s’efforce de collecter les dernières données économiques en date pour la filière considérée, de manière à s’assurer que les tarifs proposés induisent une rémunération normale.

Ces filières peuvent-elles, à court ou à moyen terme, produire de l’électricité à un coût comparable à celui des énergies fossiles ? Voilà encore une question délicate ! Cela dépendra beaucoup de l’évolution du coût des énergies fossiles et de celui du CO2, que nous avons évoqué tout à l’heure.

Prenons simplement les dernières données dont dispose la CRE, celles de l’année 2010.

Il faut bien le dire, le prix de marché moyen est alors particulièrement bas et ne reflète pas la situation constatée sur plusieurs années : à 47,5 euros le mégawattheure, il est inférieur, voire très inférieur au coût d’achat des énergies renouvelables, qui s’établit, en moyenne, cette même année, à 82 euros le mégawattheure, avec des variations assez considérables puisqu’il représente, par mégawattheure, 60 euros pour l’hydraulique, plus de 500 euros pour le photovoltaïque, 84 euros pour l’éolien et 98 euros pour la biomasse.

Il est donc difficile, hormis pour l’hydraulique, qui est déjà compétitif, de se prononcer, en tout cas à court ou à moyen terme, sur la compétitivité future des filières d’énergies renouvelables, notamment sur celle du photovoltaïque, sauf rupture technologique majeure.

Tels sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter. Je crois avoir couvert l’ensemble de vos questions, mais je suis, bien sûr, à votre disposition pour fournir les compléments nécessaires ou répondre à de nouvelles questions.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Monsieur de Ladoucette, vous n’avez certes pas répondu aux questions selon l’ordre dans lesquelles elles ont été posées, mais votre exposé était très complet.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Monsieur de Ladoucette, vous avez en effet répondu à toutes mes questions, avec la prudence nécessaire puisqu’il reste, comme vous l’avez signalé vous-même, quelques zones d’incertitudes, dues à la conjoncture.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Mes chers collègues, je vais abuser de ma fonction de président de la commission d’enquête pour me donner la parole en premier ! (Sourires.) Je souhaite, monsieur de Ladoucette, obtenir deux précisions.

Premièrement, vous avez évoqué les interconnexions de réseaux électriques et souligné leur importance. Comment travaillez-vous sur ce sujet ? Les chiffres que vous nous avez donnés, notamment sur les pics de consommation, sont intéressants et permettent de connaître les différents pays qui nous fournissent de l’énergie.

Les investissements au titre des interconnexions sont-ils prévus dans le TURPE ? A priori, oui, car il s’agit d’opérations que doit mener RTE, et parfois même ERDF. J’aimerais avoir plus de précisions sur la part de ces investissements et sur l’évolution des besoins.

Deuxièmement, vous nous avez communiqué le montant des charges prévisionnelles de service public pour 2012 : la CSPE représenterait 4,3 milliards d’euros, dont 2,2 milliards d’euros pour les énergies renouvelables. Mais ce montant ne couvre pas, semble-t-il, l’ensemble des dépenses, puisque, à vous entendre, EDF paiera aussi un supplément au titre des dépenses nécessaires en vue de financer les énergies renouvelables, lesquelles seront amorties dans les années à venir. L’ordre de grandeur est-il réellement de plus de 1 milliard d’euros ?

D’après ce que j’ai cru comprendre, le soutien aux énergies renouvelables, notamment via le prix de rachat, ne coûterait pas loin de 3,5 milliards d’euros : 2,2 milliards d’euros payés par le consommateur au travers de la CSPE, et 1,3 milliard d’euros avancés par EDF, qui récupérera cette somme sur la CSPE des années à venir ; mais comment, à quel rythme, selon quel échéancier ?

Vous avez la parole, monsieur de Ladoucette.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Monsieur le président, je répondrai d’abord à la seconde partie de votre intervention.

Il y a effectivement un retard constaté : on doit de l’argent à EDF. Pourquoi ? Parce que le Gouvernement, pour des raisons qui lui sont propres – cela a des conséquences sur le consommateur -, a choisi de ne pas augmenter la CSPE au moment où il fallait le faire, estimant qu’une telle augmentation n’était pas utile ou pertinente.

De ce fait, la somme à verser à EDF est de l’ordre de 1 milliard d’euros. Le retard accumulé devrait être rattrapé en 2015, compte tenu des évolutions prévues, avec le plafond fixé à 3 euros le mégawattheure.

Même si ce n’est pas mon rôle de le dire, je sais qu’EDF souhaiterait obtenir des intérêts intercalaires de retard pour avoir avancé cet argent.

La CRE a la responsabilité de déterminer, chaque année, le montant de la CSPE. Pour 2012, elle avait préconisé 13 euros le mégawattheure, mais elle est, en fait, de 9 euros, d’où un décalage. Si vous le comblez, c’est le consommateur qui paie, et ce dans des proportions de plus en plus importantes : regardez votre facture d’électricité !

M. Ladislas Poniatowski, président. – Ce sera le consommateur qui paiera à terme, de toute façon !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – C’est toujours le consommateur ou le contribuable qui paie, d’une manière ou d’une autre, ou peut-être éventuellement l’entreprise, mais dans le cadre d’une autre approche de la question. Voilà l’explication pour le milliard d’euros avancé par EDF et qui ne lui a pas été, jusqu’à présent, restitué.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Est-ce 1 milliard d’euros ou 1,3 milliard d’euros ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Je crois que c’est 1,3 milliard d’euros.

M. Jean-Pierre Vial. Le retard va s’accumuler !

M. Ladislas Poniatowski, président. – Absolument ! Puisque vous nous annoncez un rattrapage en 2015, vous prévoyez donc un lissage sur trois exercices budgétaires.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Sur 2012, 2013, 2014 et 2015.

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – Je précise, monsieur le président, que l’écart entre les charges et ce qui avait été couvert par EDF représentait, à la fin de 2011, 2,6 milliards d’euros.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. – Monsieur de Ladoucette, vous dites que la CSPE devrait augmenter d’environ 10 %.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Entre aujourd’hui et 2016.

M. Ronan Dantec. – Cette CSPE réévaluée de 10 % couvrira-t-elle le coût, y compris le rattrapage ? Arriverons-nous ainsi à l’équilibre par rapport aux 7,5 milliards d’euros qui seraient affectés aux énergies renouvelables à l’horizon 2020 ? Ou y aura-t-il un gaptrès important à combler entre 2016 et 2020 pour être à l’équilibre ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Je reprends ce que j’ai dit : tout dépend si la PPI et les engagements du Grenelle sont intégralement respectés.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Autrement dit, le offshore est intégré.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Oui, avec une prévision fixée à 6 000 mégawatts pour 2020.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Cela concerne les cinq premiers sites.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Non, les dix sites sont compris. Nous avons intégré le premier appel d’offres, ainsi que le second, qui reste encore une éventualité.

M. Ladislas Poniatowski, président. – En 2020, les cinq autres sites ne seront pas encore en fonctionnement. Pourtant, vous les avez comptabilisés.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Il avait été à un moment question que le second appel d’offres soit lancé tout de suite. Si tel n’était pas le cas, il y aurait effectivement un décalage.

Le tout, c’est de savoir de quoi nous parlons.

Nous avons pris comme hypothèses que la PPI et les engagements du Grenelle étaient respectés, avec un dépassement pour ce qui concerne le photovoltaïque.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Vous avez été très clair.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – M. le ministre chargé de l’énergie, que vous auditionnez cet après-midi, aura peut-être d’autres hypothèses à vous communiquer. Nous pouvons toujours discuter, à condition de connaître les hypothèses retenues.

M. Ronan Dantec. – Compte tenu de l’augmentation de 10 % d’ici à 2016 et des 7,5 milliards d’euros annoncés pour 2020, de combien faudrait-il augmenter la CSPE entre 2016 et 2020 ? L’ordre de grandeur serait-il le même ?

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – L’augmentation de 10 % correspond à un impact global sur le prix de l’électricité. Elle équivaut à peu près à un doublement de la CSPE d’ici à 2016.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Aujourd’hui, exprimée en euros par mégawattheure, la CSPE est à 9 ; en 2016, il faudrait qu’elle soit à 19,50.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Il s’agit d’une augmentation de 10 % par an, nous sommes bien d’accord, nous vous avons bien compris.

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – En 2020, la CSPE passerait à 26 euros le mégawattheure : 9 euros aujourd’hui, 19,50 euros en 2016, 26 euros en 2020.

M. Ladislas Poniatowski, président. – En arrondissant, la part de la CSPE consacrée aux énergies renouvelables atteindrait plus de 6 milliards d’euros en 2020.

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – Nous parlons du montant total.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Outre les énergies renouvelables, les autres éléments de dépenses composant la CSPE ont-ils été intégrés ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Oui, monsieur le président, il s’agit d’un montant global.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Y compris les dépenses afférentes à la Corse et aux départements d’outre-mer ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Absolument ! Tout a été pris en compte.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Comment avez-vous estimé la part sociale ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Au niveau où elle est aujourd’hui, qui est assez ridicule.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Par rapport au total, c’est peanuts !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – C’est en effet un niveau très bas, puisque la part sociale représente environ 2 % de la CSPE totale.

M. Ronan Dantec. – En 2020, le pic atteint par la part des énergies renouvelables dans la CSPE est globalement connu. Si l’on prolonge la courbe vers 2030, potentiellement, cette même part baisse. Quelles sont vos modélisations pour la période 2020-2030 ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Nous ne les avons pas faites. Je ne peux pas vous répondre.

M. Ronan Dantec. – Puisque les installations en cours seront progressivement amorties, la part des énergies renouvelables dans la CSPE pourrait baisser après 2020.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Je ne suis pas en mesure de le contester, puisque, de toute façon, nous n’avons pas fait les modélisations.

Les prévisions que nous avons élaborées vont jusqu’en 2020, soit un terme déjà assez lointain ; les estimations peuvent considérablement évoluer. L’élément de variabilité très important, c’est le montant du prix de gros sur le marché de l’électricité.

M. Ladislas Poniatowski, président. – À combien avez-vous évalué le prix du offshore ? À 150 euros le mégawattheure ? Il dépendra, en fait, des résultats de l’appel d’offres. Mais quel prix de base avez-vous retenu pour 2012, 2015 et 2020 ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Je laisse Jean-Yves Ollier vous répondre, monsieur le président, car il est beaucoup plus au fait que moi de ce sujet extrêmement sensible.

M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie. – Nous avons fait une hypothèse générique fondée sur le prix plafond de l’appel d’offres, qui est de 200 euros le mégawattheure.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Je pense que ce sera moins. En tout cas, je l’espère pour la France !

Monsieur de Ladoucette, j’en reviens à ma question sur les interconnexions.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Certains des projets d’investissement annoncés sur les interconnexions ont déjà démarré.

Je commencerai par l’interconnexion France-Espagne : on en a parlé pendant vingt ans avant de commencer les travaux, mais elle est en cours de réalisation. L’investissement s’élève à 750 millions d’euros, partagés entre le gestionnaire de réseau espagnol et le gestionnaire de réseau français, RTE. C’est un élément non négligeable, qui sera pris en compte dans le TURPE. Nous avons également un projet avec la Suisse.

Pour le reste, le développement de nouvelles interconnexions, nous le savons, est extrêmement compliqué. Ce n’est pas une question de financement dans la mesure où, RTE vous le dira, les choses se règlent en général par le biais du TURPE. La France n’a jamais souffert d’un manque de financement en matière de réalisation d’interconnexions, ce qui n’est pas vrai pour tous les pays.

Si un tel développement est complexe, c’est parce qu’il soulève une question d’acceptabilité de la construction d’infrastructures lourdes. Tel est l’objet du travail des régulateurs européens, et la Commission de régulation de l’énergie est d’ailleurs relativement en pointe en la matière. Il s’agit de permettre d’optimiser les flux avec les infrastructures existantes, notamment par différents mécanismes dont j’ai parlé tout à l’heure, le plus connu, le plus médiatique, étant le couplage de marché, mais il y en a bien d’autres.

Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas d’infrastructures supplémentaires. Celles-ci sont nécessaires, mais ce n’est pas sur leur développement que l’on s’est fondé au départ pour construire l’Europe de l’énergie. De ce point de vue, le commissaire à l’énergie, M. Oettinger, a une vision extrêmement volontariste de l’achèvement de la construction du marché européen de l’énergie, puisqu’il a fixé l’échéance à 2014, ce qui nous paraît très optimiste ; mais admettons !

Cet achèvement passe par la mise en oeuvre, selon des temporalités différentes, d’un certain nombre de mécanismes d’optimisation des échanges entre les différents pays centraux, puisque c’est avec eux que nous essayons de fonctionner le mieux. Nous passons du long terme au très court terme, avec le couplage de marché à mi-chemin, chacune des opérations particulières prévues à un moment donné ayant pour but de parvenir à cette optimisation, dans la perspective de construire l’Europe de l’énergie.

Selon moi, cette Europe de l’énergie, des réseaux, à peu près telle que nous l’avons envisagée, devrait voir le jour, non pas en 2014, mais en 2016.

J’évoquerai également le projet de nouvelle ligne avec l’Italie, qui passera, me semble-t-il, par un tunnel. L’investissement pour RTE est de 500 millions d’euros.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. – Monsieur de Ladoucette, disposez-vous également de prévisions sur les volumes de consommation ? Si oui, celles-ci, qu’elles traduisent un accroissement, une maîtrise ou une réduction, impactent-elles les autres prévisions sur les prix ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Il y a deux aspects dans votre question, madame la sénatrice. Les volumes de consommation constatés sur les réseaux ont un impact direct sur le TURPE. En ont-ils sur la production ? Oui et non, en vérité : les évolutions de la consommation sont prédéterminées aujourd’hui en fonction des éléments d’information à notre disposition.

Il y a clairement aujourd’hui une baisse de la consommation industrielle et une augmentation de la consommation tertiaire et résidentielle.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Le chauffage !

M. Jean-Pierre Vial. – La climatisation !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – J’attendais une remarque sur le chauffage électrique ! (Sourires.)

Nous n’avons pas fait d’estimations à moyen ou à long terme. Ce n’est pas notre coeur de métier, si je puis dire. Pour évaluer un tarif d’utilisation des réseaux, nous partons de ce que peut nous dire ERDF sur la consommation électrique. Grosso modo, nous connaissons les évolutions tendancielles. Je les ai indiquées : une baisse dans l’industrie, en raison de la désindustrialisation, une augmentation dans le résidentiel et le tertiaire.

Le chauffage électrique n’est pas un problème nouveau. Il est récurrent depuis plusieurs années et constitue une spécificité française qui soulève bien des débats. Les chiffres le montrent, la thermosensibilité en France constitue un record en Europe. En hiver, une variation de un degré à la baisse de la température nécessite 2 300 mégawatts supplémentaires,…

M. Ladislas Poniatowski, président. – Une centrale nucléaire !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – … soit la moitié de la totalité des besoins européens. La situation est due en grande partie au chauffage électrique. Il n’est pas nécessairement critiquable en lui-même, mais force est de constater qu’il a été implanté dans des habitations non adaptées, car mal isolées.

Installer un chauffage électrique dans une passoire énergétique n’est pas extrêmement efficace. C’est malheureusement souvent le cas. Se pose alors la question de la précarité énergétique, sujet de plus en plus sensible, puisque, comme vous le savez, elle touche entre 3,5 millions et 4 millions de foyers en France, qui consacrent plus de 10 % de leur budget pour se chauffer et s’éclairer.

Ce n’est certes pas le sujet d’aujourd’hui, mais c’est un vrai problème, parce que toute augmentation de la facture d’électricité, pour en revenir à notre débat, a des conséquences sur les personnes très fragiles. Il faut, d’une manière ou d’une autre, traiter le problème. La CRE n’a pas les réponses à cette question, mais elle se la pose.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. – Je poserai deux questions.

Monsieur de Ladoucette, les chiffres que vous nous avez donnés sur le pic de consommation atteint en ce début d’année 2012 montrent bien cette thermosensibilité extrême de la France.

Essayons de raisonner à trois ou quatre ans : ce ne devrait pas être un exercice de prospective très compliqué pour une commission de régulation comme la vôtre ! Au milieu de la décennie, la production européenne d’énergies renouvelables aura encore significativement augmenté, notamment en ce qui concerne l’éolien et le photovoltaïque.

Actuellement, le photovoltaïque allemand, en termes de puissance crête, représente 25 000 mégawatts, l’équivalent de vingt-cinq tranches nucléaires. C’est absolument considérable. Le coût financier de l’investissement est déjà pris en compte puisque celui-ci est réalisé. Voilà la réalité énergétique en Europe aujourd’hui.

Le développement des énergies renouvelables continue. Partons du principe que l’on n’ouvre plus de tranches nucléaires, que l’on aillepiano sur le renouvelable, mais que le niveau de production électrique en France reste inchangé : dans trois ou quatre ans, le marché européen aura plus de facilités qu’aujourd’hui à répondre à notre pic en cas de thermosensibilité. Voilà pour l’hiver. Mais qu’en sera-t-il en été ? La puissance disponible en Europe à cette période de l’année, avec le photovoltaïque qui « crache » au maximum, notamment en Allemagne, va, elle aussi, continuer d’augmenter.

Autrement dit, à court terme, à l’horizon 2015 ou 2020, la production électrique française, extrêmement importante par rapport à notre consommation, ne trouvera strictement plus preneur en Europe l’été, en raison du poids croissant des énergies renouvelables. Nous n’exporterons quasiment plus. En revanche, l’hiver, nous serons toujours acheteurs, évidemment, puisque, en parallèle, le chauffage électrique continue d’équiper assez massivement le logement neuf en France. Les Européens auront de moins en moins de difficultés à nous fournir, notamment en énergies renouvelables.

N’est-ce pas ce scénario qui est aujourd’hui sur la table pour la deuxième partie de la décennie ? Voilà une question qui mérite d’être posée dans le cadre d’une commission d’enquête sur le coût de l’électricité. Elle soulève énormément de problèmes en termes d’équilibre économique, dans la mesure où notre pays enregistrera un surplus d’électricité nucléaire invendable l’été et achètera de plus en plus d’électricité l’hiver, notamment d’électricité renouvelable.

Ma seconde question découle de la première. Dans le cadre d’une approche rationnelle, la priorité aujourd’hui pour la CRE n’est-elle pas, du coup, l’efficacité énergétique et, partant, la sortie du modèle fondé sur le chauffage électrique, et ce le plus vite possible puisque l’effet ciseau constaté est économiquement aberrant ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – À mon avis, ce n’est pas à la CRE de répondre à la seconde question ! (Sourires.)

M. Ronan Dantec. – Elle doit tout de même avoir un avis ! (Nouveaux sourires.)

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Monsieur Dantec, l’Europe fonctionne en permanence avec des échanges « à la minute » entre les différents pays. C’est ainsi que le système s’est construit. C’est sur ce modèle que nous essayons de mettre en place l’Europe de l’énergie.

La France est dans une situation un peu particulière, car les réacteurs nucléaires fournissent la production de base ainsi que la production de semi-base. Elle peut connaître, c’est vrai, quelques déficits à des moments de pointe, faute d’avoir la flexibilité nécessaire, le nucléaire n’étant pas fait pour cela. Cela dit, elle est en train de réaliser de ce point de vue certains investissements, concernant notamment des centrales à gaz ; elle développe également les énergies renouvelables, comme toute l’Europe.

C’est la nécessité d’être en permanence capable d’aller chercher la production électrique la moins chère là où elle se trouve qui justifie, en vérité, l’obligation absolue de construire l’Europe de l’énergie au travers des réseaux. Il n’est pas prévu que le niveau d’électricité produite excède les besoins recensés. Cela peut tout de même arriver : très récemment, l’Allemagne, en raison de la production simultanée d’éolien et de nucléaire, s’est retrouvée avec des prix négatifs, et extrêmement élevés !

Si l’ensemble du système permet d’avoir des prix moins hauts dans dix ou quinze ans, nous ne pourrons que nous en féliciter. Le problème, c’est que les énergies renouvelables sont, par définition, pour l’essentiel d’entre elles, des énergies intermittentes : il faut qu’il y ait du vent, du soleil.

On peut, certes, penser qu’il y aura toujours un endroit en Europe, si tout est interconnecté et fonctionne bien, où l’on trouvera du vent et du soleil à un moment donné !

M. Ronan Dantec. – Oui !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Cela relève toutefois encore de l’ordre du pari aujourd’hui, parce qu’il reste des congestions aux interconnexions. Il faudrait toutes les éliminer pour que le système fonctionne complètement et permette d’aller chercher la production électrique là où elle est la plus intéressante.

Monsieur le sénateur, il ressort de votre question la nécessité absolue de construire l’Europe de l’énergie et des réseaux. C’est le moyen de pallier les différences de mix énergétique entre les pays.

À vous entendre, la France risquerait de se retrouver avec un surplus de production nucléaire, ne sachant pas vers qui l’exporter. N’oublions pas, non plus, que nous allons assister au développement d’un certain nombre de produits pouvant nécessiter, à l’instar des véhicules électriques, d’être rechargés, si possible la nuit. De ce point de vue, le nucléaire convient assez bien, puisque c’est de la production de base. Il faudra trouver un équilibre entre l’efficacité énergétique et les nouveaux modes de vie.

Nous pouvons tout imaginer et il n’est pas de mon ressort de savoir quel est le bon mix énergétique. Je ne peux que rappeler des faits avérés.

C’est après le premier choc pétrolier, en 1973, que la France a lancé un programme nucléaire important. À la suite du deuxième choc pétrolier, en 1979, quelques mois après le black-out, le plus gros, le seul vraiment que nous ayons connu, elle lançait le deuxième programme nucléaire. Celui-ci était-il bien dimensionné au regard des prévisions de consommation pour les années à venir ? Certains pointent une erreur d’estimation. Ne refaisons pas l’histoire : en 1984, la France dépassait ses besoins de consommation et a pu exporter ; elle a aussi développé le chauffage électrique. Voilà pour les faits.

La suite ? Je ne suis pas devin, mais ce que vous dites est parfaitement plausible.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Même s’il n’appartient pas à la CRE de se prononcer sur le mix énergétique, je vous remercie, monsieur de Ladoucette, du fait de votre connaissance du problème énergétique, de donner votre avis en la matière.

Je vous redonne la parole, monsieur Dantec.

M. Ronan Dantec. – Puisque nous sommes sur la question du coût, soyons précis : dans quelle mesure prenez-vous en compte la part d’exportation de l’électricité française dans les tarifs que vous calculez de manière prospective ? Aujourd’hui, dès lors que nous vendons de l’électricité, il n’y a aucun coût à supporter pour le contribuable français. Mais si l’hypothèse que j’ai évoquée tout à l’heure se vérifie demain et qu’il nous reste de l’électricité sur les bras, c’est le consommateur ou le contribuable français qui paiera ! Vous livrez-vous à un tel exercice prospectif ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – Mon cher collègue, nous allons entendre la réponse de M. de Ladoucette, mais je vous demande de reposer cette question, de manière peut-être encore plus pointue, au moment où nous auditionnerons EDF. Le sujet est d’importance. Je pense notamment aux pics de consommation, qui ont des conséquences catastrophiques pour les finances de la France.

M. Ronan Dantec. – Nous sommes bien d’accord, mais la CRE, dans le cadre de l’ARENH, a, me semble-t-il, son mot à dire sur la question.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Vous avez la parole, monsieur de Ladoucette.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – La CRE ne fait pas trop de prospective de ce point de vue.

Il est clair que l’exportation d’électricité est bénéfique à la balance des paiements française. Mais nous nous inscrivons là dans une vision macroéconomique qui ne relève pas réellement de notre responsabilité.

Par ailleurs, il ne peut pas y avoir de production qui nous reste sur les bras, pour reprendre vos propos, puisqu’il y a un équilibre permanent : aujourd’hui, l’électricité ne se stocke pas.

M. Ronan Dantec. – Et celle que l’on ne vend pas ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Elle n’est pas produite !

M. Ladislas Poniatowski, président. – Eh oui !

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Il n’y a pas, à un moment donné, de surplus d’électricité. Les échanges commerciaux sont incessants : tout ce qui passe dans le réseau trouve preneur. En l’absence de besoin, rien n’y est injecté.

M. Ronan Dantec. – Cela change la rentabilité du parc nucléaire.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Il peut se faire que l’on ait trop de centrales nucléaires à un moment donné, mais ce n’est pas à moi de le dire. Je laisse cela aux décideurs, aux producteurs, au Gouvernement. Il n’en demeure pas moins que nous n’avons pas, à un moment donné, de production qui se retrouve, comme cela, « en l’air », puisque l’équilibre est permanent.

M. Ronan Dantec. – Vous n’intégrez pas du tout cet élément dans l’ARENH ?

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Nous avons eu un débat théorique avec le Gouvernement sur le prix de l’ARENH. Par mégawattheure, nous proposions 39 euros, le Gouvernement proposait, lui, 42 euros, arguant des conséquences à tirer de ce qui s’était passé à Fukushima et des tests à réaliser. Ne voulant pas entrer dans une discussion sur la sécurité nucléaire, nous n’avons pas donné d’avis négatif, ni d’avis positif. Nous avons accepté de prendre comme hypothèse que les besoins d’investissement après les expertises réalisées par l’Autorité de sûreté nucléaire représenteraient un surcoût de 3 euros le mégawattheure.

Si c’est moins, le prix n’atteindra pas 42 euros. Si c’est plus – 4, 5 ou 6 euros le mégawattheure -, il faudra l’intégrer. Pour le calcul de l’ARENH, la CRE part d’un principe logique : constater, ex post, le coût des investissements ; sinon, le débat est sans fin, car même l’ASN ne donne pas de montants.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Mes chers collègues, nous ne faisons aujourd’hui qu’entamer une longue série d’auditions et nos travaux s’étaleront sur trois mois. Il nous faut apprendre à travailler en fonction des personnes que nous auditionnons. Cela étant, je pensais bien qu’un certain nombre de questions déborderaient la compétence du régulateur !

M. Jean Desessard, rapporteur. – Autrement dit, monsieur le président, pour les questions, nous sommes en période de pointe ! (Sourires.)

M. Ladislas Poniatowski, président. – Nous apprenons le métier, si je puis dire !

Cela étant, il n’est pas impossible, monsieur de Ladoucette, que notre rapporteur, à la suite de certaines auditions, ait besoin de compléments d’information. Il s’adressera alors à vous par écrit ou souhaitera peut-être vous auditionner de nouveau, dans le cadre d’une réunion de commission de nature moins généraliste et plus technique. N’en soyez pas surpris !

En tous les cas, je vous remercie d’avoir répondu à toutes ces questions, y compris à celles qui « débordaient ». Mais nous sommes toujours restés dans notre rôle de commission d’enquête, et je vous félicite, monsieur le rapporteur, car les questions que vous avez posées au début de cette audition étaient très complètes.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Monsieur de Ladoucette, je vous remercie à mon tour de la précision de vos réponses. Comme vous le disiez, monsieur le président, nous aurons probablement besoin d’informations complémentaires, pour bien cerner tous les domaines.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. – Je vous les fournirai très volontiers.

Audition de M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique

M. Ladislas Poniatowski, président. – Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mesdames et messieurs, notre ordre du jour de cet après-midi appelle l’audition de M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique.

Comme vous le savez, notre commission d’enquête a été créée sur l’initiative du groupe écologiste – qui a fait application de son « droit de tirage annuel » – afin de déterminer le coût réel de l’électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l’existence d’éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l’appréciation portée sur l’efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l’électricité, afin d’éclairer les choix énergétiques français.

Dans ce but, la commission a souhaité entendre M. le ministre, pour connaître la position du Gouvernement sur l’appréciation du coût réel de l’électricité et sur les facteurs d’évolution de ce coût dans les années à venir.

Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d’une commission d’enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu’un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu’elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.

Avant de donner la parole au rapporteur pour qu’il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à M. le ministre, conformément à la procédure applicable aux commissions d’enquête.

Monsieur le ministre, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. le ministre prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. – Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu’attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. le ministre aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l’ensemble des membres de la commission d’enquête pourront lui poser.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jean Desessardrapporteur. – Monsieur le ministre, nous avons six questions à vous poser, qui vous ont été transmises.

Première question, nous aimerions savoir si, selon le Gouvernement, le prix de l’électricité payé actuellement par les différentes catégories de consommateurs en reflète bien le « coût complet » réel.

Deuxième question, que pensez-vous de l’évolution des prix de l’électricité sur le marché français hors tarifs régulés depuis l’entrée en vigueur de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », en distinguant les industriels des consommateurs particuliers ? Avez-vous des éléments de comparaison internationale, monsieur le ministre ?

Troisième question, quels sont, selon le Gouvernement, les principaux facteurs d’évolution du coût de l’électricité dans les années à venir en distinguant ce qui concerne la production – pouvez-vous, en particulier, faire le point sur le coût réel actuel du mégawattheure de chaque filière, les réseaux et la contribution au service public de l’électricité, la CSPE ?

S’agissant des tarifs régulés, que pensez-vous de la communication par la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, d’une perspective d’augmentation de 30 % des tarifs régulés de l’énergie d’ici à 2016 ?

Quatrième question, avez-vous des commentaires sur le récent rapport de la Cour des comptes relatif aux coûts de la filière électronucléaire et les nombreuses incertitudes qu’il soulève ? Quels enseignements le Gouvernement compte-t-il en tirer en matière de coût du mégawattheure nucléaire et de durée de vie des centrales ?

Cinquième question, après la mise en place de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, peut-on considérer qu’il existe une « rente nucléaire » liée à la différence entre le coût de production – y compris les coûts fixes – et le prix de vente ? Si oui, qui bénéficierait de cette rente ?

Sixième question, peut-on chiffrer le niveau nécessaire, dans les années à venir, du soutien – via les dispositifs fiscaux, la CSPE… – au développement des énergies renouvelables et de la cogénération ?

Plus précisément, peut-on prévoir l’évolution de la CSPE dans les dix ou vingt ans à venir et comment sera pris en compte le « stock » de dépenses déjà faites par EDF et non compensées jusqu’à présent par le niveau effectif de la CSPE ? Peut-on évaluer un coût fiscal pour l’État du soutien à ces énergies sous forme, par exemple, de crédits d’impôt ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’auditionner sur ce sujet crucial tant pour nos concitoyens que pour l’avenir de notre industrie.

Vous savez combien le Gouvernement s’est attaché sans relâche à assurer la transparence dans le domaine de l’énergie, et pas uniquement dans le domaine du nucléaire.

Après l’accident de Fukushima, le Premier ministre a demandé, en mars dernier, à l’Autorité de sûreté nucléaire de conduire des évaluations complémentaires de sûreté de nos installations. Le cahier des charges de ces audits a été soumis à l’examen du Haut Comité à la transparence avant sa validation et a, d’ailleurs, pu être complété après cet examen. L’ensemble des rapports, installation par installation, a été rendu public – ce qui est assez inédit -, comme le rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN, et celui de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN.

Nous avons rendu public, l’été dernier, le rapport qui a été remis au Gouvernement par la commission Champsaur pour fixer le prix de l’ARENH.

Le Premier ministre a chargé la Cour des comptes d’évaluer les coûts de la filière électronucléaire française. Le rapport a été rendu public le 31 janvier et il est à la disposition de tous les Français. Je voudrais insister sur ce point, car il ne ressort pas toujours des commentaires : c’est le Premier ministre qui a demandé ce rapport à la Cour des comptes.

J’ai confié à une commission, la commission Énergie 2050, un rapport sur l’évaluation des conséquences des différents scénarios énergétiques pour notre pays. Ce rapport a été rendu public le 13 février dernier.

Le Gouvernement a donc mené une politique de transparence sans précédent en matière énergétique, tant il est crucial que l’ensemble des données chiffrées soit à la disposition de nos concitoyens à l’heure où le débat énergétique est sur la place publique. Votre commission d’enquête va permettre d’aller plus loin, en se concentrant sur la question de l’évolution des coûts de l’électricité sur l’ensemble de la chaîne.

Dans la suite de mon exposé, je donnerai beaucoup de chiffres économiques ou financiers puisque c’est le coeur de votre mission, mais nous devons nous garder de résumer notre politique énergétique aux seuls aspects économiques. Nous devons en effet concilier quatre objectifs prioritaires : la sécurité d’approvisionnement énergétique, la compétitivité de notre énergie, la protection de notre environnement, dont la lutte contre le réchauffement climatique, et l’accès de tous à l’énergie.

Comparativement au reste de l’Europe, les consommateurs français paient leur électricité à des prix remarquablement bas.

Dans les autres pays d’Europe, les ménages paient leur électricité en moyenne près de 40 % plus cher que dans notre pays. Les ménages allemands la paient près de 85 % plus cher. Ainsi, en France, la facture moyenne annuelle d’un ménage est de 700 euros environ, toutes taxes comprises. En Allemagne, elle est de 1 250 euros ; elle n’est donc pas loin de deux fois plus élevée. Une famille avec deux enfants chauffée à l’électricité paie son électricité en moyenne 1 000 euros en France, contre 1 850 euros en Allemagne.

Cet avantage pour le pouvoir d’achat des Français se traduit également en avantage compétitif pour les entreprises. Hors les entreprises fortement consommatrices d’électricité, que l’on appelle les « électro-intensifs », qui ont des contrats très spécifiques, la facture moyenne pour une entreprise ayant une consommation annuelle de 500 mégawattheures est de 42 500 euros hors TVA en France. En Allemagne, la même facture est de 62 500 euros environ, c’est-à-dire 50 % plus chère.

Quant aux électro-intensifs, nous leur avons permis de signer des contrats de long terme leur garantissant l’accès à une électricité compétitive sur plus de vingt ans. Cela a été rendu possible grâce à notre parc nucléaire, dont la prévisibilité des coûts est grande.

Or, non seulement notre électricité est compétitive, mais ce n’est pas au détriment des autres objectifs de notre politique énergétique.

Nous n’importons du combustible que pour 10 % de notre production électrique. Et notre solde d’échange d’électricité est exportateur de 55,7 térawattheures en 2011. En termes d’émission de CO2 par unité de PIB, la France affiche la deuxième performance de l’Union européenne à vingt-sept pour les émissions de CO2 dues à l’énergie, derrière la Suède, où nucléaire et hydraulique sont très développés.

Si les consommateurs français paient moins cher leur électricité, c’est non seulement parce que nos coûts sont plus faibles, mais aussi parce que nous garantissons, grâce aux tarifs et à la loi NOME, que cet avantage est répercuté au consommateur.

Nous avons la chance de disposer de coûts bas, car nous avons développé les deux sources d’électricité qui se révèlent les plus compétitives : tout d’abord, l’hydroélectricité – la moins chère – ; ensuite, le nucléaire.

Pour ceux qui doutaient de la compétitivité du nucléaire, les conclusions du rapport de janvier de la Cour des comptes me paraissent sans appel. Sa première conclusion, c’est que le mythe du « coût caché » du nucléaire s’effondre. La deuxième conclusion, c’est qu’il subsiste un certain nombre d’incertitudes réelles. Mais la Cour des comptes le dit très clairement, ces incertitudes ne feraient évoluer que marginalement le coût du nucléaire. J’y reviendrai.

En termes de chiffres, la Cour évalue le coût de l’électricité nucléaire – selon les options que l’on prend, notamment selon l’hypothèse de rémunération du capital qui est retenue – entre 32,3 et 49,5 euros par mégawattheure. Les comparaisons sont éclairantes. Dans ce contexte et même en prenant toute l’amplitude de la fourchette, seule l’hydroélectricité peut être moins chère que le nucléaire. Le mégawattheure produit à partir de gaz, de charbon ou d’éolien terrestre coûte, lui, entre 88 et 92 euros par mégawattheure, selon l’Union française de l’électricité. C’est donc deux à trois fois plus cher. Les autres sources de production d’électricité sont encore plus chères.

À ces coûts de production très compétitifs, nous avons adjoint un développement efficace de notre réseau électrique. Ainsi, les tarifs de réseaux en France sont inférieurs d’environ 30 % aux tarifs de réseaux en Allemagne : en 2010, 43 euros le mégawattheure contre 60 euros le mégawattheure.

Les ménages français bénéficient ainsi d’une électricité compétitive, via des tarifs réglementés fondés sur la réalité des coûts et qui répercutent tout l’avantage compétitif du nucléaire au consommateur, et ce grâce à la loi NOME. Nous avons maintenu les tarifs réglementés pour les particuliers et nous avons donné accès aux fournisseurs alternatifs à de l’électricité nucléaire au niveau de son coût de production, ce qui nous permet d’ouvrir le marché français tout en maintenant des prix bas pour le consommateur.

Notre système électrique a besoin d’investissements, ce qui conduira nécessairement à des hausses des coûts de l’électricité.

Nous sommes entrés depuis plusieurs années dans une phase de réinvestissement important, qu’il s’agisse de notre réseau électrique, du développement des énergies renouvelables ou des investissements sur les autres moyens de production. Nous sommes ainsi passés d’un monde où les tarifs de l’électricité évoluaient moins vite que l’inflation à un monde où l’évolution est un peu supérieure à l’inflation. S’il faut s’attendre à une poursuite de cette tendance, cette hausse doit néanmoins pouvoir être maîtrisée et rester proche de l’inflation.

Tout d’abord, nous investissons et allons continuer à investir de façon importante dans les réseaux. Ces investissements sont des éléments clés pour notre sécurité électrique. Nous devons, en particulier, faire face à la progression constante des besoins, même atténuée par les efforts d’efficacité énergétique, au développement des énergies renouvelables, qui soumettent le réseau à des défis nouveaux – intermittence de la production, décentralisation de la production -, aux fragilités spécifiques de certains territoires.

Pour cela, nous renforçons le réseau partout en France, à commencer par la Bretagne et la région PACA, qui sont les deux principaux points de fragilité de notre réseau. Les investissements sur le réseau de transport ont presque doublé depuis 2007, pour atteindre 1,5 milliard d’euros en 2012. Sur le réseau de distribution, les investissements, après avoir sensiblement diminué à la fin des années quatre-vingt-dix, ont augmenté depuis 2004. Ils atteindront 3 milliards d’euros en 2012.

Parmi nos investissements emblématiques, je voudrais citer Baixas-Santa Llogaia – 700 millions d’euros dont 350 pour RTE -, la ligne Cotentin-Maine – 343 millions d’euros -, le filet de sécurité PACA – 240 millions d’euros – et la ligne Bretagne – 108 millions d’euros.

La CRE travaille actuellement à l’élaboration du prochain tarif, le TURPE 4, qui entrera en vigueur en août 2013 pour quatre ans. Mais il est bien trop tôt pour donner un chiffre sur le niveau de ce TURPE 4.

Pour élaborer ces tarifs, la CRE doit, en effet, intégrer les orientations du Gouvernement, qui seront fixées d’ici à la fin de l’année. J’écrirai dans quelques jours, quelques semaines au plus tard, au président de la CRE concernant la structure du TURPE 4. Puis, mon successeur ministre de l’énergie devra lui écrire en fin d’année pour fixer les orientations en matière de niveau des tarifs. La CRE élaborera alors une décision qu’elle adressera au Gouvernement. Ce dernier pourra ainsi demander à la CRE une nouvelle délibération si, d’aventure, ses orientations n’étaient pas respectées. Rien n’est donc figé concernant le niveau du TURPE 4.

Nous investissons, par ailleurs, de façon très volontariste dans les énergies renouvelables.

Nous développons massivement l’éolien terrestre, qui constituera l’essentiel du développement des énergies renouvelables électriques d’ici à 2020. C’est certainement l’investissement le plus justifié à ce jour au sein des énergies renouvelables électriques, car c’est de loin la moins chère parmi ces énergies renouvelables. Ainsi, l’éolien terrestre devrait coûter en 2020 environ moitié moins à la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, que le solaire photovoltaïque, tout en produisant cinq fois plus d’énergie. Le coût complet de l’éolien terrestre est de l’ordre de 80 euros par mégawattheure contre environ 400 euros pour le solaire – et là, je conviens que les chiffres varient. Cela revient à dire qu’un euro de soutien par la CSPE pour l’éolien terrestre produit dix fois plus d’énergie renouvelable qu’un euro pour le solaire. Cet écart se réduira, à l’évidence, dans le futur, mais telle est la réalité aujourd’hui. Il est très clair qu’en termes d’éolien terrestre nous sommes arrivés à une baisse du prix de revient. Probablement ne faut-il pas en attendre beaucoup d’améliorations. En revanche, en matière de photovoltaïque, on peut espérer que – et nous agissons en ce sens, comme d’autres pays – le prix de revient va sensiblement diminuer.

De plus, nous investissons fortement dans la biomasse. J’ai annoncé lundi dernier le lancement de quinze projets de production d’énergie à partir de la biomasse. Ces projets, qui seront mis en service au cours des deux ans et demi à venir, représentent un total d’investissement de 1,4 milliard d’euros.

Et nous investissons dans les filières d’avenir que sont l’éolien offshore et le solaire photovoltaïque. J’y reviendrai précisément.

S’il est difficile de donner un chiffre pour l’évolution de la CSPE à l’horizon 2020, notamment parce que ce chiffrage dépend des hypothèses sur les prix de marché de l’électricité, actuellement très volatiles, on peut donner les ordres de grandeur suivants : la part de la CSPE due aux énergies renouvelables pourrait environ quadrupler de 2011 à 2020 – il s’agit de chiffres mouvants dont le président de la CRE a dû vous présenter sa propre vision ce matin. Actuellement, la CSPE est considérée par beaucoup d’experts comme un peu trop basse. Elle aurait dû, selon la CRE, être en 2012 fixée à 13,7 euros le mégawattheure, alors qu’elle ne sera que de 9 euros au premier semestre et 10,5 euros au second. En effet, le législateur a plafonné la hausse de la CSPE à un niveau inférieur à la progression des coûts du renouvelable, tout particulièrement le photovoltaïque, ces dernières années. Il y aura donc inéluctablement un retard, qui devra être rattrapé d’ici à 2015.

Au passage, je tiens à mentionner qu’une partie de cette hausse des coûts de soutien aux énergies renouvelables sera absorbée par la baisse très significative du soutien à la cogénération dans la CSPE. En effet, les contrats des installations supérieures à 12 mégawattheures ne seront pas renouvelés, alors que 85 % d’entre eux sont arrivés ou arriveront à échéance d’ici à 2014. Ainsi, les charges associées à la cogénération, après avoir atteint 1 milliard d’euros en 2009, devraient baisser et se stabiliser d’ici à quatre ans autour de 350 millions d’euros, estimation faite par les services de Bercy.

Ces éléments sur la cogénération, combinés à un quadruplement de la part de CSPE finançant le soutien aux énergies renouvelables, devraient, en ordre de grandeur, conduire à plus d’un doublement de la CSPE d’ici à 2020.

Enfin, nous investissons dans les autres moyens de production, qui constituent l’essentiel de notre parc actuel.

Nous devons, tout d’abord, investir dans notre parc nucléaire. Avant l’accident de Fukushima, le programme d’investissements de maintenance d’EDF pour les années 2011-2025 s’élevait à 50 milliards d’euros. Cela conduit à une moyenne annuelle de 3,3 milliards d’euros, ce qui constitue un quasi-doublement par rapport aux investissements réalisés en 2010. Les investissements à réaliser pour satisfaire aux demandes de l’ASN dites « post-Fukushima » sont aujourd’hui estimés par EDF à une dizaine de milliards d’euros, dont la moitié serait déjà prévue dans le programme initial de 50 milliards d’euros.

Sur cette base, il est donc inéluctable que le coût du nucléaire augmente. Le rapport Champsaur a détaillé les évolutions du coût du nucléaire en intégrant les investissements d’ici à 2025. Il a évalué que le niveau auquel devait être fixé le prix de l’ARENH était d’environ 39 euros par mégawattheure en moyenne, sur la période de régulation 2011-2025. Nous l’avons fixé à 42 euros à compter de janvier 2012 en anticipant l’accélération des investissements dits « post-Fukushima », que ne prenait évidemment pas en compte la commission Champsaur.

Ces chiffrages sont d’ailleurs cohérents avec ceux qui ont été réalisés par la Cour des comptes. Ils sont également cohérents avec les tarifs réglementés actuels, ce qui est logique puisqu’ils sont basés sur le principe de couverture des coûts, à cela près que le prix de l’ARENH intègre d’ores et déjà les investissements de maintenance à réaliser dans les prochaines années comme charges, ce qui n’est pas le cas des tarifs réglementés. Une hausse des tarifs réglementés de l’ordre de 6 % à 7 % – toutes choses égales par ailleurs – serait donc nécessaire d’ici au 1er janvier 2016 pour refléter ces coûts.

J’ajoute que nous n’avons pas à craindre de hausse significative de ces coûts du nucléaire puisque la Cour de comptes a conclu que le coût complet du nucléaire n’évoluerait – en prenant les hypothèses les plus hautes – que de 5 % environ, si les charges futures de démantèlement ou de gestion des déchets venaient à doubler.

Les investissements dans la production ne se limitent évidemment pas au nucléaire et aux énergies renouvelables. Il nous faut aussi investir dans les moyens de production « conventionnels ». Plusieurs centrales à cycle combiné gaz ont été construites ces dernières années et j’ai annoncé, mercredi dernier, le résultat de l’appel d’offres que nous avons lancé pour une centrale à gaz à l’ouest de la Bretagne. Ces investissements sont nécessaires, non seulement pour renouveler un certain nombre de centrales qui vont s’arrêter d’ici à 2015 compte tenu de l’évolution des normes d’émission au niveau européen, mais aussi pour faire face à l’augmentation de la pointe électrique, et accompagner le développement du renouvelable.

Les incertitudes sont telles qu’il ne me paraît pas possible de donner un chiffre précis sur l’évolution des tarifs de l’électricité dans les années à venir.

J’ai naturellement pris connaissance du chiffrage évoqué par le président de la CRE de 30 % d’ici à 2016, qu’il a eu l’occasion de vous présenter ce matin. Dès que j’ai eu connaissance de ce chiffre, il y a quelques semaines, j’ai dit clairement que telle n’était pas l’analyse du Gouvernement. Je le redis, je ne partage pas ce chiffre, je ne partage pas ces analyses. Je le répète, le Gouvernement souhaite, en toute hypothèse, que les augmentations se situent dans une fourchette proche du taux d’inflation.

Pour ce qui est des coûts d’acheminement, je rappelle notamment que le Gouvernement devra donner ses orientations pour la fixation du TURPE 4. Cela signifie donc que des marges de manoeuvre existent.

S’agissant du prix de l’ARENH et des coûts du nucléaire, nous constaterons, dans les mois et années à venir, le coût exact des investissements. Je rappelle que le rapport Champsaur fixait le prix de l’ARENH à une fourchette haute à 39 euros et que nous l’avons fixé à 42 euros, ce que la Commission européenne trouve trop élevé. Si tel était le cas, les hausses à venir seraient, de ce fait, moindres.

Concernant le coût du soutien au renouvelable, tout dépendra de la proportion des projets qui se réaliseront vraiment, ce qui est très difficile à prévoir.

Face à cette nécessaire hausse des coûts de l’électricité, la première exigence, c’est de faire les bons choix pour limiter au strict nécessaire la hausse des coûts et pour ne faire que les investissements appropriés, au juste prix.

Cela ne veut pas dire avoir une logique strictement financière ou budgétaire. J’ai rappelé en introduction quels étaient les quatre objectifs que nous devions nous assigner.

Cela veut dire faire les bons choix au niveau de notre mix énergétique. C’est à cette fin que j’avais chargé MM. Percebois et Mandil de présider une commission pluraliste et ouverte associant des experts indépendants et plus de 80 associations et organismes du secteur de l’énergie pour mener une analyse des différents scénarios de politique énergétique pour la France à l’horizon 2050.

Si cela n’est pas déjà prévu, je me permets de vous suggérer d’auditionner MM. Percebois et Mandil.

M. Ladislas Poniatowski, président. – C’est prévu !

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – La commission Énergies 2050 a étudié différents scénarios en comparant leur impact sur le prix de l’électricité, sur les émissions de gaz à effet de serre et sur notre sécurité d’approvisionnement.

Le scénario de l’accélération du passage de la deuxième à la troisième génération de réacteurs nucléaires, avec la fermeture anticipée d’une partie du parc actuel, a principalement un impact sur le prix, qui, dans les ordres de grandeur de la commission, passerait de 40 à 60 euros par mégawattheure.

Le scénario du prolongement de l’exploitation du parc nucléaire actuel, avec renforcement de l’investissement de sûreté et de maintenance, préserve un prix particulièrement compétitif, qui passe de 40 à 50 euros par mégawattheure. Ce scénario maintient l’ensemble des atouts de notre parc nucléaire : indépendance énergétique, absence d’émission de gaz à effet de serre, compétitivité des prix.

Le scénario d’une réduction de 75 % à 50 % en 2030 de la part de notre électricité d’origine nucléaire impliquerait, quant à lui, une augmentation de 40 à 70 euros par mégawattheure du prix de l’électricité, soit une augmentation de 75 %. Il représente aussi un accroissement de moitié de nos émissions de gaz à effet de serre de notre parc électrique et une augmentation importante de nos importations d’énergies fossiles. Ce serait la fin de notre indépendance énergétique pour la production d’électricité.

La sortie complète du nucléaire à l’horizon 2030 représente un doublement du prix de l’électricité, le recours massif aux importations d’énergies fossiles et le risque d’une multiplication par cinq de nos émissions de gaz à effet de serre.

Je retiens trois conclusions du rapport de la commission Énergies 2050.

D’abord, le rapport met en avant que la priorité de la politique énergétique française devrait être la réduction de notre dépendance aux importations d’hydrocarbures, qu’il s’agisse du pétrole, du gaz ou du charbon. Pour parvenir à cette transition énergétique, les deux priorités sont, d’une part, la maîtrise de notre consommation et, d’autre part, le développement des énergies décarbonées, les énergies renouvelables comme le nucléaire. Nous avons besoin, je le pense, des deux volets. Il ne faut pas les opposer.

Ensuite, réduire le nucléaire à 50 % représenterait une perte de 150 000 emplois directs – je dis bien « directs » – pour notre économie. C’est considérable ! Cela signifierait – ne tournons pas autour du pot, c’est dans le débat d’aujourd’hui ! – fermer 24 réacteurs qui atteindront, d’ici à 2025, une durée de vie de 40 ans, sans en construire aucun autre. Cela aurait des conséquences très importantes. Une telle décision signerait, en réalité, la fin de l’industrie nucléaire française. On ne peut pas – il faut que chacun en ait conscience – laisser cette industrie à l’arrêt pendant plus d’une décennie sans perdre les savoir-faire indispensables.

Enfin, du point de vue de l’ensemble des critères, la prolongation de la durée de vie de nos réacteurs actuels, sous réserve que l’Autorité de sûreté nucléaire l’autorise, est à privilégier. Il faut chaque fois rappeler que c’est cette dernière qui, au cas par cas, réacteur par réacteur, donne l’autorisation de prolonger la durée de vie des centrales. C’est pourquoi nous devons à la fois préparer la prolongation de la durée de vie des centrales au-delà de 40 ans et poursuivre le programme de construction de l’EPR, avec un deuxième réacteur à Penly, après celui de Flamanville. C’est le sens des décisions qu’a prises le Président de la République à l’occasion du Conseil de politique nucléaire du 8 février dernier.

Les investissements dans la prolongation de notre parc nucléaire sont donc bien de bons investissements, que nous devons financer.

Nous devons aussi poursuivre le développement sans précédent des énergies renouvelables engagé par le Gouvernement depuis cinq ans. Mais nous devons le faire avec discernement.

Nous avons dû freiner l’emballement du photovoltaïque avant que son impact macroéconomique soit trop lourd et trop coûteux. L’Allemagne, souvent citée en exemple sur ce terrain, est en train de s’en rendre compte. C’est ainsi qu’elle a décidé, en février, des baisses très importantes de ses tarifs de rachat, de 20 à 25 %. Elle devra toutefois faire face aux obligations d’achat induites par les panneaux déjà installés. Il est d’ores et déjà acquis que le surcoût annuel pour les consommateurs allemands des panneaux déjà installés sera en 2012 de 10 milliards d’euros, alors que nous en sommes à 1,5 milliard d’euros en France. La contribution payée par les consommateurs allemands d’électricité pour financer les énergies renouvelables s’élève à 35,9 euros par mégawattheure, ce qui est quatre fois plus élevé que la CSPE française. Cela représenterait une hausse immédiate de 20 % de nos tarifs électriques. C’est considérable !

Pour ce qui nous concerne, nous avons mis en place un nouveau dispositif de soutien, avec une cible de nouveaux projets de 500 mégawattheures par an. Ce dispositif doit permettre le développement d’une filière industrielle d’excellence en France. Tel était l’objectif : non seulement réduire les coûts pour le consommateur, mais également créer des filières industrielles d’excellence. D’où les deux appels d’offres pour le solaire photovoltaïque que nous avons lancés l’été dernier.

Car c’est là une exigence que nous avons fixée à l’industrie des énergies renouvelables : le développement de filières françaises. Nous n’investirons pas dans les énergies renouvelables pour financer des industries qui seraient basées à l’étranger et qui, par ailleurs, ont, pour certaines, un niveau de technicité contestable. En tant que ministre de l’industrie, je recommande que nous privilégiions les filières renouvelables avec un fort taux de retour en termes de valeur ajoutée et difficilement délocalisables, comme l’éolien offshore ou la biomasse, en nous appuyant sur nos avantages comparatifs.

C’est aussi pourquoi nous avons décidé le lancement d’un grand programme éolien offshore. Nous avons lancé un premier appel d’offres pour 3 000 mégawattheures, dont nous annoncerons les résultats au mois d’avril. Cet appel d’offres devrait permettre la création d’environ 10 000 emplois en France.

Quant aux emplois créés par les énergies renouvelables, il ne s’agira d’emplois réellement créés qu’à la condition qu’ils ne soient plus subventionnés dans quelques années. C’est pourquoi nous devons soutenir en priorité les filières dont le potentiel de compétitivité à terme existe par rapport aux autres moyens de production d’électricité.

Il y a, enfin, un autre type d’investissements dont je n’ai pas parlé : il s’agit des économies d’énergie. Je n’en ai pas parlé car elles ne sont pas intégrées dans les tarifs : elles sont financées non par les consommateurs d’électricité, mais par les contribuables pour ce qui relève du soutien public. Le développement des économies d’énergie est une priorité. En même temps, ne nous abusons pas nous-mêmes : l’effet sur le contribuable doit lui aussi être pris en compte. Il n’y a pas de réponse générique au regard de la très grande hétérogénéité des actions de maîtrise de la demande énergétique. Ces actions sont en tous les cas, et c’est une transition pour évoquer mon dernier point, un élément essentiel de la lutte contre la précarité énergétique.

Face à cette hausse des coûts de l’électricité, raisonnable mais inéluctable, nous devons enfin accompagner les consommateurs les plus modestes.

L’énergie représente près de 7 % des dépenses des ménages. Mais nous devons traiter spécifiquement la question des trois millions et demi de nos concitoyens pour lesquels elle représente plus de 10 % des dépenses chaque mois.

D’abord, je citerai un chiffre : pour un ménage qui se chauffe à l’électricité, la facture représente en moyenne 4 % des dépenses du foyer. Seulement, après avoir baissé en euros constants – je dis bien « en euros constants » – pendant une vingtaine d’années, le prix a augmenté au niveau de l’inflation à partir de 2006, et croît désormais à un rythme légèrement supérieur à l’inflation, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner.

Il faut se garder de réponses simplistes, car le problème de la précarité énergétique n’est pas simple. Il touche des situations très différentes, des populations fragiles et hétérogènes, souvent en grande souffrance, qui ont besoin d’une réponse adaptée à leur situation et, surtout, d’un accompagnement.

Parmi les solutions que, très sincèrement, j’écarte d’emblée, figure le « tarif à tranches ». Le principe est simple : on fait payer peu les premiers mégawattheures et beaucoup les suivants. Ce principe, en apparence séduisant, me paraît terriblement inefficace.

Le tarif à tranches rate sa cible et serait même injuste : les plus démunis sont souvent ceux qui consomment paradoxalement beaucoup en proportion, car leur logement a besoin d’être rénové et mieux isolé. Ils sont donc les premiers pénalisés par une mesure censée les aider.

Le tarif à tranches n’incite pas ceux qui consomment trop à modérer leur facture : l’ouverture du marché permet à ceux qui sont pénalisés par ce tarif, souvent les plus aisés, qui sont aussi les mieux informés, d’aller chez un fournisseur alternatif, lequel leur proposera un prix plus attractif.

La solution paraît résider, au contraire, dans une pluralité d’outils et une action d’ensemble. C’est ce que nous essayons de faire : nous avons, me semble-t-il, un bilan sans précédent en la matière.

Nous avons ainsi créé un tarif social de l’électricité en 2006, que nous avons relevé de dix points l’an dernier. La réduction moyenne par foyer aidé est de 90 euros par an environ.

Nous avons, par ailleurs, automatisé l’attribution des tarifs sociaux au 1er janvier pour que les ménages qui, jusqu’à présent, ne renvoyaient pas le formulaire qui leur était adressé en bénéficient tout de même, c’est-à-dire près des deux tiers des 1,5 million de foyers concernés aujourd’hui. Les travaux d’automatisation ont d’ores et déjà été engagés par les fournisseurs depuis le 1er janvier et nous avons publié ce matin un décret en ce sens, qui formalise la procédure d’automatisation.

Par ailleurs, les coupures d’électricité sont interdites pendant l’hiver pour les ménages en difficulté.

Nous menons, enfin, une action de long terme pour aider les ménages en difficulté à réduire durablement leur facture. Pour cela, nous avons, en particulier, créé un fonds d’aide à la rénovation thermique des logements, doté de 1,35 milliard d’euros, dont 1,1 milliard financé par l’État. Ce fonds bénéficiera à plus de 300 000 foyers précaires d’ici à 2017.

En conclusion, notre politique énergétique fait face à un triple défi : un défi écologique dont la prise de conscience est légitimement de plus en plus forte, un défi économique que la crise actuelle rend particulièrement saillant, et un défi d’approvisionnement que souligne la succession de tensions géopolitiques.

Grâce notamment à son choix nucléaire, la France dispose de nombreux atouts pour sa production électrique. Mais nous ne saurions nous reposer sur nos lauriers. Il faut que nous gardions bien conscience de ce sur quoi repose ce succès et que nous sachions nous adapter sans remettre en cause nos atouts. Notre électricité est bon marché. Elle le restera, malgré des hausses modérées, si nous savons faire les bons choix et les investissements nécessaires, dans les réseaux électriques, dans les énergies renouvelables et dans le nucléaire.

Je n’ai pas oublié que vous m’aviez demandé, à la fin de la semaine dernière, de vous fournir les documents adressés par le Gouvernement à la Commission européenne au cours de son enquête sur les tarifs régulés. Eu égard aux délais, il ne m’a pas été possible de réunir l’ensemble des documents demandés. Je ne manquerai pas, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de vous les adresser tout à fait officiellement dans le courant du mois de mars.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour cet exposé très complet. Vous avez bien présenté les choix du Gouvernement en matière de mix énergétique et d’investissements.

Avant de passer la parole à mes collègues, je souhaite vous poser deux questions complémentaires.

Ma première question concerne le prix de l’ARENH, qui inclut les investissements nécessaires à la prolongation de la durée de vie de nos centrales nucléaires. Bruxelles nous a interdit, bien sûr, d’y inclure la construction de nouvelles centrales. Il me semble que devraient tout de même y être inclus les investissements de sûreté nécessaires, préconisés dans l’enquête faisant suite à l’accident de Fukushima que vous avez évoquée. Ces éléments n’avaient pas été pris en compte lors de la fixation du prix de l’ARENH. Ne faut-il pas le faire désormais ? J’aimerais connaître votre opinion sur ce sujet.

Ma deuxième question porte sur l’énergie hydraulique.

Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que la raison pour laquelle les Français payaient l’électricité beaucoup moins cher que leurs voisins européens était liée au nucléaire et à l’hydraulique.

En matière d’hydraulique, nous allons nous lancer dans une phase d’appel d’offres qui va s’étendre de 2014 à 2025 ou 2026.

Qu’attendez-vous de cet appel d’offres ? Pensez-vous qu’il permettra de faire baisser le prix de l’hydraulique ? Ne croyez-vous pas qu’il entraînera, au contraire, un effet de hausse, compte tenu des investissements qui risquent d’être nécessaires pour moderniser l’ensemble des centrales hydrauliques ?

Vous avez la parole, monsieur le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Sur le premier point, vous aurez noté que la commission Champsaur a ajouté à son rapport, après l’accident de Fukushima, un post-scriptum ou addendum dans lequel elle explique qu’il convenait d’intégrer dans le prix de l’ARENH les investissements de sûreté nécessaires, dont elle n’était pas encore en mesure de faire le chiffrage. Nous avons alors estimé à 42 euros le coût du mégawattheure.

Bien évidemment, il faudra désormais estimer l’évolution de ce coût réel au fur et à mesure des travaux, et procéder à des ajustements, en concertation avec la CRE.

Pour ce qui concerne les appels d’offres en matière d’hydraulique, je ne suis pas en situation de répondre à votre question. Nous n’en sommes en effet qu’au début du processus. Nous connaissons, en outre, un paradoxe : l’administration n’avait pas les compétences nécessaires pour procéder à ces appels d’offres.

Nous avons donc transmis les facteurs à prendre en compte en termes de prix, de taxes, d’environnement et de sécurité, mais nous ne savons pas quels seront, à l’arrivée, les résultats des appels d’offres. Plusieurs experts, partisans de la concurrence, et sur les pronostics desquels je ne m’engage pas, estiment que ceux-ci pourraient avoir des effets bénéfiques pour les consommateurs. Nous verrons ce qu’il en sera au final.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. – Je poserai deux questions.

Je tiens, premièrement, à exprimer ma surprise : après avoir cité des chiffres extrêmement précis, ce dont je vous remercie, monsieur le ministre, vous avez affirmé que les tarifs pour 2016 et 2020, tels qu’ils sont estimés par la CRE, n’étaient pas prévisibles. Vous avez pourtant mentionné le prix de l’ARENH et donné une estimation assez précise de la CSPE ; par ailleurs, s’agissant du TURPE, il ne semble pas que la marge d’erreur soit très importante.

Vos chiffres sont à peu près les mêmes chiffres que ceux qui ont été indiqués, ce matin, par le président de la CRE. Il est donc étonnant que vous ne partagiez pas son point de vue sur une future hausse des tarifs de 30 % qui, si l’on accepte de la prendre en compte, rapproche la France de la moyenne des pays européens, lesquels connaissent une hausse du coût de l’électricité de 40 %. La différence est donc peu significative.

Sur quels chiffres, selon vous, subsiste-t-il une inconnue ? Pouvez-vous nous expliquer ce qui justifie la distance que vous prenez par rapport à la position de la CRE ?

Paradoxalement, alors que vous peiniez à donner des chiffres pour 2016, vous avez été plus précis s’agissant des tarifs de 2030. Vous nous avez dit, ainsi, que si la production d’électricité d’origine nucléaire passait à 50 % en 2030, l’augmentation des tarifs serait extrêmement significative. Par quels calculs obtenez-vous ces résultats ?

Ma deuxième question concerne l’EPR.

Votre logique industrielle, que nous connaissons, a sa cohérence. Or la Cour des comptes estime, dans son rapport, que le coût de production minimal, s’agissant de l’EPR de Flamanville, s’établit entre 70 et 80 euros le mégawattheure. Ce coût est largement supérieur à celui de l’énergie éolienne, compte tenu de la courbe tendancielle baissière du coût de l’éolien en Europe. Il se posera peut-être, demain, une vraie difficulté : en termes de puissance de crête, qui augmente très vite, l’électricité produite par l’EPR risque de n’être plus concurrentielle, en Europe, par rapport à celle produite par les énergies renouvelables, notamment par l’éolien terrestre.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Si l’on retient l’hypothèse de la CRE, soit une augmentation de 30 % des tarifs de l’électricité en France, alors, dites-vous, nous aurons réduit l’essentiel du différentiel avec les autres pays européens, qui connaissent une hausse moyenne de 40 %. À une petite réserve près…

M. Ladislas Poniatowski, président. – Eux aussi augmentent leurs tarifs !

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – En effet ! Ces pays, eux aussi, et en particulier ceux qui choisissent de réduire la part du nucléaire dans leur mix énergétique, augmentent fortement leurs tarifs. Ce n’est pas moi qui le dis ! Écoutez les discours du ministre de l’énergie allemand sur le sujet…

Les Allemands font preuve d’une très grande cohérence. Que disent-ils ? Nous augmenterons fortement nos tarifs de l’électricité, mais notre population l’accepte, et nous le ferons parce que nous voulons sortir du nucléaire. Ce faisant, nous dégraderons notre dépendance énergétique et notre bilan carbone. Au moins, les choses sont dites !

M. Ronan Dantec. – Ce n’est pas ce qu’ils disent concernant le bilan carbone !

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Ils le disent au contraire très clairement ! De toute façon, quand bien même ils ne tiendraient pas ces propos, ils n’ont pas le choix…

La caractéristique première du renouvelable éolien et photovoltaïque est l’intermittence. Tant que nous ne disposerons pas de systèmes massifs de stockage de l’électricité, il ne sera pas possible d’avoir, à la fois, de l’éolien et du photovoltaïque sans posséder des systèmes de secours de production d’électricité qui, s’ils ne sont pas nucléaires, ne peuvent être que thermiques. Je mets quiconque au défi d’apporter la démonstration contraire ! Or l’énergie thermique entraîne mécaniquement l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Comme les Allemands sont honnêtes et cohérents, ils le reconnaissent !

Vous m’avez ensuite interrogé sur les chiffrages. Ceux-ci dépendront, bien évidemment, des orientations de politique énergétique qui seront choisies. C’est le cas, ainsi, pour toute une partie de la CSPE. Il m’est donc difficile d’anticiper sur les résultats de décisions qui dépendent du résultat des prochaines élections. Ces déterminants concernent les investissements réalisés sur les réseaux, l’énergie renouvelable, les investissements de maintenance du parc nucléaire, le renouvellement et l’extension du parc de production thermique.

Nous devons, me semble-t-il, poser la question différemment. Quel prix de l’électricité estimons-nous acceptable pour notre industrie et pour les ménages ? Après avoir répondu à cette question, nous pourrons décider de la répartition du mix énergétique et des investissements.

Le rapport de la commission Énergies 2050, qui compte plus de 300 pages, a la grande qualité de décrire précisément le chemin de crête que nous devons emprunter pour atteindre ce résultat. Tel est le schéma auquel, pour ma part, je souscris.

Pour ce qui concerne l’EPR, même en supposant que les chiffres extrêmement élevés que vous retenez soient exacts, vous n’ignorez pas qu’il existe aujourd’hui de grandes incertitudes en la matière. En toute hypothèse, seuls deux réacteurs sont concernés, sur un parc beaucoup plus large. Vous ne pouvez donc pas en déduire, sauf à arrêter tous les autres réacteurs, que le coût du nucléaire équivaudra au prix de revient que vous venez de citer.

Il suffit de discuter avec les industriels, et vous allez, je crois, en auditionner certains. Le président d’Areva vous indiquera quelle baisse du prix de revient de l’EPR il estime possible d’obtenir – j’ai ce chiffre en tête, mais je ne vous le donnerai pas, car il lui revient de vous donner cette information ! -, après avoir tiré les leçons d’un grand classique de l’industrie : c’est la tête de série qui coûte le plus cher ; ensuite, après que se sera produit le retour d’expérience, le prix de revient diminue. Cela vaut autant, d’ailleurs, pour l’EPR que pour le photovoltaïque. C’est donc assez cohérent.

L’élément de surcoût le plus important de l’EPR fut le bardage spécial grâce auquel, même en cas d’accident « suprême », c’est-à-dire de fusion du coeur du réacteur, ce coeur ne pourra jamais s’enfoncer ni dans le sol ni dans les fondations, et aucune émanation de radionucléides ne sera libérée dans l’atmosphère. Ce savoir-faire très particulier, chacun le sait, le secteur du BTP a eu du mal à le mettre en oeuvre. Ces structures sont désormais en place en France, à Flamanville, en Finlande, et sur les deux EPR du site de Taishan, en Chine. Pour autant, les prix de production seront-ils toujours les mêmes ? Non !

Je reviens d’un voyage en Chine. Je puis donc vous le dire, les Chinois considèrent que s’ils devaient nous commander à l’avenir d’autres EPR, ceux que les professionnels appellent Taishan III et IV – ce qui n’est pas acquis ! -, les prix de revient devraient être bien moins élevés.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. – En Angleterre, les opérateurs des deux EPR négocient un tarif de rachat garanti largement supérieur à 100 euros. C’est un chiffre intéressant !

M. Ladislas Poniatowski, président. – Ce sera beaucoup moins ! Ces propos n’engagent que vous…

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Parlez-vous, monsieur le sénateur, de prix de rachat ou de prix de revient de l’électricité ?

M. Ronan Dantec. – Comme vous le savez, les Anglais souhaitent revenir à des prix garantis, en réaction contre le libéralisme de la période précédente…

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Entendons-nous bien : pour notre part, nous ne parlons qu’en termes de prix de revient complet, et non de tarif d’achat.

M. Ronan Dantec. – Les opérateurs anglais négocient sur ces prix !

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Vous interrogerez les industriels sur ce sujet…

Pour ce qui concerne la France, vous disposez des chiffres. Encore une fois, le fait de retrouver les mêmes ordres de grandeur dans les documents établis par la commission Champsaur, la Cour des comptes, ou par les industriels, est assez éclairant.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. – Ma première question, également évoquée par mon collègue Ronan Dantec, concerne les indications données, ce matin, par le président de la CRE sur l’augmentation qu’il jugeait nécessaire des tarifs de l’électricité, la fameuse hausse de 30 %. Sans émettre d’avis sur l’opportunité politique de ses propos, force est de constater que ceux-ci étaient argumentés.

Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, dans la première partie de votre intervention, que le Gouvernement n’avait pas fait ce choix, sans préciser quelle alternative vous proposiez, et sur quelles prévisions vous vous fondiez pour récuser l’argumentation de la CRE. Ne me répondez pas, s’il vous plaît, que tout dépendra du résultat des élections, car ma question est bien la suivante : dans l’hypothèse où votre majorité serait reconduite, que feriez-vous ? Pour le reste, ne vous inquiétez pas, nous nous en occuperons !

Ma deuxième question est une demande de précision.

La CSPE est consacrée pour 2 % à la part sociale, et vous avez rappelé que le nombre de ménages en situation de précarité énergétique se situait entre 3 et 4 millions, un chiffre largement partagé.

Quelqu’un connaît-il la répartition des parts respectives du fioul et de l’électricité dans la consommation de ces ménages, qui consacrent plus de 10 % de leurs revenus aux dépenses énergétiques ?

Si l’on tente de faire coïncider le chiffre de la CSPE consacrée à la part sociale, soit 2 %, ce qui est relativement faible, et le nombre de ménages en situation de précarité énergétique, soit environ 3,5 millions, il est légitime de se demander si les conditions d’éligibilité aux tarifs sociaux sont bien adaptées à la réalité que vivent les ménages.

Ma troisième question concerne les engagements pris au mois de décembre par la ministre de l’environnement, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, relatifs aux objectifs de réduction de la consommation d’énergie à l’horizon 2020.

Des informations différentes ont été données sur ce sujet. Dans un communiqué de presse, il est fait état d’un objectif de 20 % de réduction de la consommation d’énergie – plus exactement entre 19,7 % et 21,4 % – à l’horizon 2020. Ailleurs, il est question de 20 % d’efficacité énergétique. Ce n’est pas exactement la même chose !

Le gouvernement auquel vous appartenez confirme-t-il cet objectif de 20 % de réduction de la consommation d’électricité d’ici à 2020 ? Quelle voie entendez-vous emprunter pour y parvenir ?

S’agissant de l’EPR, je préfère les informations claires aux fantasmes.

Monsieur le ministre, pourriez-vous communiquer à notre commission d’enquête un rapport expliquant les raisons du doublement du prix entre les évaluations initiales et les évaluations finales ?

En tant qu’élus locaux, nous savons tous que, pour la construction de la moindre salle de sports, il existe toujours une différence entre le prix initial évalué et le prix final. Pour ce qui concerne l’EPR, nous parlons cependant d’un doublement du prix !

Vous avez répondu en partie à ma dernière question. Pensez-vous que les retours d’expérience relatifs au coût du premier EPR nous permettront réellement d’avoir une vision plus fine du coût des autres EPR, dans la mesure où vous avez choisi de poursuivre la construction de ce type de réacteurs ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – J’ai déjà répondu à votre première question. Je tiens simplement à rappeler que, aux termes de la loi NOME, s’agissant des tarifs applicables aux consommateurs jusqu’en 2015, c’est le Gouvernement qui fixe les prix de l’électricité. Dans ces conditions, ces prix dépendront, comme je vous l’ai dit, des investissements réalisés sur les réseaux et les installations nucléaires, entre autres.

Les objectifs du Gouvernement, qui sont très simples, ont été fixés par le Président de la République dans un cahier des charges : la progression des prix de l’électricité ne doit pas être « plus de légèrement supérieure à l’inflation ». Nous pourrions débattre de la signification de l’adverbe « légèrement », mais il n’en reste pas moins que cet objectif est très clair.

Ne vous inquiétez pas, m’avez-vous dit : en cas d’alternance, nous nous en occuperons ! Pour tout vous dire, cela m’inquiète justement un peu… mais tel n’est pas l’objet de notre discussion.

M. Jean Desessardrapporteur. – Je confirme !

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Pour ce qui concerne la répartition de la consommation entre fioul et électricité, je ne suis pas en mesure de vous donner ces chiffres aujourd’hui. Je vous les ferai parvenir par l’intermédiaire du président de votre commission d’enquête dans quelques jours, le temps de recueillir ces informations.

S’agissant des tarifs sociaux, je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit en introduction de mon intervention. J’attire simplement votre attention sur la formidable avancée que constitue l’automatisation. Le fait que les bénéficiaires des minima sociaux n’aient pas besoin de faire la demande d’un tarif social, mais que celui-ci leur soit automatiquement accordé, représente, je crois, une évolution importante.

Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question relative au distinguo que vous avez relevé dans les documents diffusés par Nathalie Kosciusko-Morizet, qui était encore ma collègue au sein du Gouvernement voilà quelques jours. Selon moi, sous réserve d’inventaire, il s’agit bien de réduire de 20 % la consommation d’énergie, et non, spécifiquement, la consommation d’électricité. Je vérifierai cette information, si vous voulez bien me transmettre, pour votre part, les documents qui sont à votre disposition.

Pour ce qui concerne l’EPR, vous avez raison : il faudra un audit très précis. Areva dispose probablement des premiers éléments du retour d’expérience que j’évoquais. Après la mise en oeuvre de l’EPR de Flamanville, nous aurons nécessairement besoin d’une analyse objective. Les parlementaires décideront, ensuite, si nous devons aller plus loin. Je vous ai d’ores et déjà fait part de quelques orientations et indications relatives au coût et à la technicité des fondations.

Nous devrons faire cet audit. Chacun le souhaite, y compris le gouvernement finlandais. De ce point de vue, il n’y a rien à cacher. En revanche, si vous me demandiez de vous envoyer ce rapport la semaine prochaine, je serais bien incapable de vous le transmettre.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. – Je souhaite rebondir sur l’importante question, relative à l’énergie hydraulique, posée par notre président, Ladislas Poniatowski.

Nous n’investissons plus, les équipements sont anciens et, de ce fait, notre évaluation des coûts d’investissement de ces ouvrages est relativement mauvaise. Il serait intéressant, à l’occasion du renouvellement des concessions, de disposer d’éléments plus précis, que nous n’avons pas pour le moment.

Nos capacités de création de nouveaux ouvrages ne sont pas complètement négligeables. J’y reviendrai tout à l’heure, en évoquant, notamment, l’usage qui pourrait être fait des ouvrages existants, par exemple dans le cadre du stockage.

Ma question porte sur les réseaux.

Comme nous l’avons vu, le TURPE doit nous permettre d’accompagner la modernisation et le renforcement des réseaux. Très sincèrement, j’ai le sentiment – mais je peux me tromper – que nous n’avons pas, aujourd’hui, une vision claire de la carte des réseaux et de son évolution, en termes tant d’entretien que de renforcement des installations.

Je me suis fait communiquer les chiffres. Nous pouvons constater qu’en période de pointe – c’est également valable pour tous les pays concernés par l’interconnexion – les réseaux tels qu’ils existent nous permettent tout juste d’assurer la distribution d’électricité. Cette situation ne peut aller qu’en s’aggravant avec le développement des nouvelles énergies qui, pour être bien utilisées, doivent être mises en réseau afin qu’un équilibre soit assuré. L’optimisation des capacités d’utilisation des énergies renouvelables présuppose et nécessite donc l’existence de réseaux de qualité.

Avons-nous suffisamment anticipé cette situation et disposons-nous d’un schéma nous permettant d’optimiser l’interconnexion nécessaire entre les pays et l’usage qu’il nous faudra faire, demain, des énergies renouvelables, qui seront très utilisatrice des réseaux ?

J’en reviens à l’énergie hydraulique.

Nous savons que son optimisation, et notamment celle du stockage, passe non seulement par le renforcement des ouvrages, mais aussi par la baisse du coût du transport. Ainsi, en France, lorsque l’on utilise de l’énergie pour stocker, on paie le coût du réseau. À ma connaissance, ce n’est pas le cas dans les autres pays.

Le stockage coûte très cher en France, dans la mesure où il n’est pas exonéré et ne bénéficie pas d’un coût de réseau diminué ou nul. Ne pourrait-on, au niveau du stockage, appliquer un coût moindre à l’usage du réseau ? Ce serait une façon d’optimiser cette solution énergétique.

J’avais cru comprendre que certains pays, comme l’Espagne, s’engageaient actuellement dans la réalisation d’importants programmes hydrauliques, notamment afin d’optimiser le stockage. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des précisions en la matière ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – S’agissant de l’énergie hydraulique, vous avez raison : le renouvellement des concessions, que nous avons accepté pour des raisons d’ouverture du marché et de mise en oeuvre de la directive, doit être l’occasion de poser les questions que vous avez évoquées. Pour cette raison, nous avons mandaté un cabinet afin qu’il prépare les éléments d’un appel d’offres. Il appartiendra au gouvernement issu de la prochaine élection de déterminer les critères à retenir.

Le développement des énergies renouvelables crée, en effet, de nouvelles obligations en matière de réseaux. Ce problème est beaucoup plus sensible s’agissant des interconnexions entre pays que pour notre territoire, qui est assez bien maillé du fait des lieux d’implantation de nos principales sources de production d’électricité, exception faite des deux points faibles que j’ai cités, la Bretagne et la région PACA, dont nous devons absolument résoudre les problèmes énergétiques.

Vous me permettrez, au passage, de faire une digression sur ces derniers cas, qui posent des questions de fond sur nos infrastructures. Vous savez à quel point il est difficile, aujourd’hui, de réaliser certaines infrastructures. Je tiens à attirer votre attention sur le fait que des décisions de tribunaux administratifs, dont il ne m’appartient pas de juger du bien-fondé, viennent casser des investissements absolument indispensables pour la sécurisation des réseaux.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Y compris la centrale à gaz de Bretagne !

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – J’espère que ce ne sera pas le cas, mais nous verrons bien… Cette installation est absolument vitale pour la Bretagne !

M. Ladislas Poniatowski, président. – Je suis tout à fait de votre avis.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Une région ne peut pas vivre durablement en ne produisant que 10 % de l’électricité qu’elle consomme, un chiffre à mettre en relation avec les 15 % produits en région PACA.

Vous avez également raison, monsieur Vial, pour ce qui concerne les relations entre pays. Nous n’avons pas critiqué le choix allemand de renoncer au nucléaire, car il s’agissait d’une décision souveraine, mais nous avons instantanément dit à nos amis allemands, ainsi qu’à nos collègues des autres pays de l’Union, que les Européens devaient discuter entre eux des conséquences d’une telle décision.

J’en reviens aux chiffres. Nous avons fortement augmenté les investissements sur les réseaux de transport : 1,2 milliard d’euros par an depuis 2007. Nous pourrions passer, lors de la négociation du prochain TURPE, à 2 milliards d’euros d’investissements ; il s’agit là d’un ordre de grandeur. Nous préparons également des schémas régionaux de raccordement en vue de planifier la consolidation de ces réseaux.

J’ajouterai un mot sur le stockage de l’hydroélectricité. Cette question devrait être abordée à l’occasion de la négociation du TURPE 4. Nous l’avons d’ores et déjà posée, et en discutons actuellement avec la CRE. Je la reposerai dans une lettre que j’enverrai très prochainement. Le prochain ministre de l’énergie aura ainsi la possibilité de mettre cette orientation en oeuvre, s’il la confirme.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier. – Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que la France ait fait preuve d’un tel excès de zèle pour appliquer la directive visant à lancer l’appel d’offres pour le renouvellement des concessions ? Selon nos informations, nous sommes les seuls à avoir agi de la sorte. Les autres pays ont prévu de le faire en 2050.

Quelle est l’explication de cette réactivité ? Habituellement, nous sommes un peu plus mauvais dans ce genre d’exercice.

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. – Votre réaction me fait plaisir. Si vous pouviez développer ces propos par écrit, je m’empresserai de les transmettre à la Commission européenne : cela pourrait faciliter notre dialogue !

La France a accepté, dans les conditions que vous connaissez, sur l’initiative de ses gouvernements successifs, l’ouverture du marché de l’électricité. Nos collègues européens et la Commission estiment que nous sommes un marché faussement ouvert. C’est pourquoi nous avons élaboré, entre autres textes, la loi NOME.

Notre pays conserve un monopole en matière de production d’électricité nucléaire, les installations d’EDF produisant 75 % de notre électricité. Nous devons donc en discuter avec nos partenaires et avec la Commission, et, au cours de ces échanges, nous avons effectivement mis dans la balance le renouvellement des concessions.

Comme vous le savez, en vertu de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, la durée des concessions est de soixante-quinze ans à compter de la construction des installations. Nous arrivons donc à échéance. Notre démarche était donc un bon moyen de respecter l’esprit et, je l’espère, la lettre de la directive.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir répondu à nos questions.

Du ministre de l’énergie, nous n’attendions pas des réponses techniques, mais des réponses relatives à la stratégie, aux choix et au mix énergétique. Vous avez tout à fait joué le jeu.

Notre rapporteur auditionnera certains de vos collaborateurs, notamment M. Pierre-Marie Abadie, dans le cadre d’auditions plus techniques, ouvertes à tous nos collègues qui seraient intéressés par ce sujet.

Il s’agit donc de bien faire la part entre les auditions officielles de commission, en assemblée plénière, et ces auditions techniques menées par le rapporteur, car nous n’attendons pas le même type d’informations des personnes auditionnées.

Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir contribué, de manière intéressante, à nous éclairer.

Audition de M. Gérard Mestrallet, Président-directeur général de GDF Suez

M. Ladislas Poniatowski, président.Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l’audition de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.

Monsieur le président-directeur général, chacun des groupes politiques du Sénat dispose d’un droit de tirage annuel qui lui permet notamment de solliciter la création d’une commission d’enquête. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe écologiste d’utiliser ce droit pour soulever la question du coût de l’énergie et du prix de l’électricité dans notre pays. Telle est la raison d’être de la commission d’enquête.

Comme la procédure le prévoit, je vais vous demander de prendre devant nous un engagement solennel.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Gérard Mestrallet prête serment.)

M. Ladislas Poniatowskiprésident. – M. le rapporteur vous a préalablement adressé une série de questions, afin que vous puissiez préparer vos réponses. Nous cherchons en effet à obtenir des informations aussi nombreuses que possible, pour être aidés dans nos travaux.

Je commencerai donc par donner la parole à M. le rapporteur. Ensuite, vous prendrez le temps que vous souhaiterez pour répondre à ses questions. Enfin, mes collègues pourront vous poser un certain nombre de questions complémentaires et vous demander des précisions.

Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Monsieur le président-directeur général, permettez-moi de vous rappeler les six questions, subdivisées en sous-questions, que je vous ai adressées.

Premièrement, les différents tarifs régulés de l’électricité reflètent-ils, selon vous, les coûts réels complets de production, de transport, de distribution et de fourniture ?

Par ailleurs, après la mise en place de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », qui fait obligation à EDF de céder un quart de son électricité d’origine nucléaire à ses concurrents à un tarif spécifique, le prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, permet-il aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF ?

Enfin, après la mise en place de l’ARENH, peut-on considérer qu’il existe une rente nucléaire liée à la différence entre le coût de production et le prix de vente ? Et, dans l’affirmative, qui en bénéficie ?

Deuxièmement, que pensez-vous des récentes déclarations de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), selon qui les tarifs régulés de l’électricité devraient augmenter d’environ 30 % d’ici à 2016 ? Partagez-vous ce diagnostic, qu’il nous a confirmé ce matin ? Dans l’affirmative, pourquoi ? De manière générale, la France peut-elle rester durablement compétitive en Europe en matière de prix de l’électricité ?

Troisièmement, un groupe énergétique comme GDF Suez peut-il dresser un tableau réaliste des coûts actuels de la production d’électricité dans les différentes filières et de leur évolution prévisible au cours des dix ou vingt prochaines années ? En particulier, comment réagissez-vous aux conclusions de la Cour des comptes sur le coût de la filière nucléaire ? Enfin, quel sera demain, selon vous, un mix électrique compétitif et quelles conséquences aura-t-il sur le prix de l’électricité ?

Quatrièmement, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur les mécanismes actuels de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération, comme la contribution au service public de l’électricité, – la CSPE – et les dispositifs fiscaux ?

Cinquièmement, quelle est la manière correcte, selon GDF Suez, de fixer les prix de l’électricité ? Faut-il s’en remettre entièrement au marché, dont on perçoit la grande volatilité, en particulier en période de pointe électrique ? Ou bien un système tarifaire est-il légitime sur le long terme, au moins pour les particuliers ? Le cas échéant, la formule retenue par la loi NOME vous semble-t-elle pertinente ?

Sixièmement, l’acquisition à titre onéreux par les électriciens de l’ensemble de leurs quotas d’émission de gaz à effet de serre à compter de 2013 aura-t-elle des conséquences sur le prix de l’électricité ? Ou bien avez-vous d’ores et déjà complètement intégré ce prix dans vos conditions de vente ?

Telles sont, monsieur le président, les six séries de questions que j’ai adressées à M. Gérard Mestrallet.

M. Ladislas Poniatowskiprésident. – Monsieur le président-directeur général, vous avez la parole.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à m’exprimer devant vous.

Je vous propose de répondre dans l’ordre à toutes les questions que M. le rapporteur m’a posées.

M. Ladislas Poniatowskiprésident. – Prenez pour cela le temps qu’il vous faudra.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.La première série de questions porte sur les différents tarifs régulés de l’électricité, les coûts réels, la mise en place de la loi NOME et l’ARENH.

D’abord, la notion de coûts réels doit être bien relativisée. Il n’existe pas une définition unique du coût de l’électricité, comme d’ailleurs la Cour des comptes l’a montré. Plusieurs définitions existent, qui dépendent de l’usage que l’on veut en faire et de l’objectif que l’on poursuit.

Par exemple, si l’on souhaite prendre une décision d’investissement pour l’avenir, il ne faut pas tenir compte du coût des installations anciennes, mais des coûts de développement des nouveaux réacteurs. Pour l’EPR actuel, la Cour des comptes évoque une fourchette de l’ordre de 70 à 90 euros par mégawattheure.

En revanche, si l’on souhaite fixer des tarifs pour aujourd’hui, il convient de veiller à couvrir, pour le nucléaire, les coûts de démantèlement, les coûts opérationnels et une rémunération normale du capital.

S’agissant de ce dernier point, dont je reparlerai, il faut bien distinguer, comme la Cour des comptes l’a fait, le capital qui n’a pas été amorti, dont la rémunération est parfaitement légitime, et le capital déjà amorti, qui, si on le rémunère, est en réalité rémunéré deux fois.

Si l’on couvre les coûts que je viens d’indiquer, on arrive à 32 ou 33 euros par mégawattheure. Cette évaluation fait consensus puisqu’elle est commune à la Commission de régulation de l’électricité et du gaz de Belgique, la CREG, à la commission Champsaur sur l’organisation du marché de l’électricité, à la Cour des comptes…

M. Jean Desessard, rapporteur. – Tout en bas ! Il s’agit d’un montant plancher.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Ce montant n’est pas une fourchette basse pour la Cour des comptes, qui le définit de manière extrêmement précise : à 32 euros par mégawattheure, il correspond à la couverture des coûts hors coût du capital ; à 33 euros, il intègre en plus la rémunération du capital non amorti.

La Cour des comptes mentionne en outre deux autres montants. Au total, il y a donc quatre niveaux de coût, qui ont été très bien résumés par le ministère de l’énergie dans un communiqué que j’ai sous les yeux.

Les deux premiers niveaux, de 32 et 33 euros par mégawattheure, sont pertinents pour déterminer les coûts réels du nucléaire.

Un montant de 39,9 euros par mégawattheure a été obtenu par la Cour des comptes par la méthode du coût comptable complet de production, c’est-à-dire en tenant compte de l’amortissement, de la rémunération du capital non amorti et du remplacement des réacteurs. Mais il est évident qu’on ne peut pas inclure dans un tarif payé aujourd’hui le coût d’un remplacement qui devra être financé le moment venu, c’est-à-dire dans dix, quinze ou vingt ans – et qui sera d’ailleurs l’investissement le plus rentable qui soit.

Le dernier chiffre, celui de 49,5 euros par mégawattheure, a été le plus médiatisé parce qu’il pouvait correspondre aux intérêts de certains. Mais il est absolument hors de propos, puisqu’il comprend le coût de la rémunération du capital investi à l’origine en tenant compte de l’inflation, de sorte que ce capital déjà amorti serait rémunéré une seconde fois, ce qui ne serait pas légitime.

Je le répète, les chiffres de 32 et 33 euros par mégawattheure ont été donnés par le rapport Champsaur, la CRE et la Cour des comptes. J’ajoute que c’est le seul chiffre que le Président de la République ait cité, à propos du coût du nucléaire, dans le discours qu’il a prononcé à Fessenheim. Et il a évidemment raison…

Les coûts dont je viens de parler sont essentiellement ceux d’EDF. Je vais maintenant vous donner des éléments de référence qui concernent la Belgique, où nous-mêmes avons sept centrales nucléaires.

Il s’agit de centrales à eau pressurisée, de même modèle que les centrales françaises. Les deux parcs ont été construits au même moment et de façon assez parallèle. D’ailleurs, ils l’ont été en coopération, puisque EDF détient 50 % de l’une de nos sept tranches, Tihange 1, et que, de notre côté, nous détenons des droits de copropriété sur Chooz B et Tricastin. Nous connaissons donc bien nos coûts respectifs.

La CREG, qui est le régulateur belge, a été invitée par le gouvernement à évaluer ce qu’on a appelé la rente nucléaire, c’est-à-dire la différence entre un prix de vente et un coût de production.

Pour cela, elle a évalué le coût de revient de nos centrales dans une fourchette de 17 à 21 euros par mégawattheure. C’est sur la base de ces chiffres officiels que la CREG a estimé la marge réalisée par les électriciens nucléaires belges – nous gérons toutes les centrales, mais nous partageons une partie de leur propriété avec EDF et E.ON. C’est aussi sur la base de ces chiffres que la taxe nucléaire a été fixée à 550 millions d’euros pour les sept centrales.

Nous avons contesté cette évaluation du régulateur : pour notre part, nous estimions le coût direct d’une centrale à 23,5 euros par mégawattheure.

En outre, nous considérions que, pour déterminer le niveau à partir duquel il faudrait considérer qu’il y a une marge – une rente -, il conviendrait d’ajouter à ce montant 5 euros correspondant au coût de réserve. En effet, comme une centrale doit être arrêtée de temps en temps, si l’on veut fournir à un consommateur une bande continue pendant plusieurs années, il faut ajouter au coût direct ce qu’on appelle un back-up, que nous avons évalué à 5 euros.

Au total, nous estimions donc à 28,5 euros par mégawattheure le prix de revient de nos centrales nucléaires en Belgique. D’où vient la différence avec le montant de 32 euros qui concerne EDF, dont les centrales sont à peu près les mêmes que les nôtres ? Simplement du fait que, en Belgique, nos centrales tournent à peu près 10 % de plus que celles d’EDF en France.

Autrement dit, le taux de disponibilité de nos centrales est proche de 90 %, alors que celui des centrales d’EDF se situe historiquement plus près de 80 %, même s’il s’est amélioré l’année dernière. Le prix de revient du mégawattheure produit par EDF est donc supérieur d’environ 10 % à celui de notre mégawattheure. Et si l’on augmente de 10 % le montant de 28,5 euros, on retrouve à peu près le chiffre de 32 ou 33 euros mentionné par la Cour des comptes.

Ce chiffre est donc donné par quatre sources différentes, la cinquième étant la validation suprême par le discours du Président de la République à Fessenheim.

La deuxième sous-question de M. le rapporteur porte sur les modalités de mise en oeuvre de la loi NOME. Il s’agit de savoir si le niveau de l’ARENH permet aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF.

La réponse est : oui, dans une certaine mesure, pour les clients ne bénéficiant par de tarifs réglementés, c’est-à-dire essentiellement pour les anciens clients du tarif réglementé transitoire d’ajustement de marché, le TaRTAM.

Le cas de GDF Suez est d’ailleurs assez illustratif puisque avant le TaRTAM, au moment de l’ouverture des marchés pour les clients industriels – laquelle s’est faite progressivement, en commençant par les très gros consommateurs -, nous avions pris petit à petit 7 à 8 % du marché. Ensuite, lorsque le TaRTAM a été mis en place, nous avons perdu à peu près tous ces clients et nous avons été conduits à vendre directement sur le marché. Grâce à l’instauration de l’ARENH, nous avons commencé à retrouver peu à peu quelques-uns de ces gros clients industriels.

En revanche, l’ARENH n’atteint absolument pas son objectif pour la clientèle particulière et tous ceux qui bénéficient de tarifs réglementés. En effet, il existe un ciseau tarifaire, c’est-à-dire un écart entre le coût d’achat pour le fournisseur alternatif et le prix de vente aux clients finaux, déterminé par référence aux tarifs réglementés.

Il en résulte qu’on ne peut pas concurrencer EDF sur le marché des clients particuliers, puisqu’il n’est évidemment pas possible de mener une activité économiquement équilibrée en achetant à 42 euros – le niveau de l’ARENH – pour revendre à 35 ou à 36 euros – le niveau du tarif bleu.

Au passage, j’observe qu’en vendant son électricité à 42 euros par mégawattheure EDF réalise une marge très significative, pour la raison qu’elle réalise déjà une marge considérable en vendant son électricité à 35 euros par mégawattheure à tous les Français. Il est extrêmement simple de comprendre qu’EDF ne pourrait pas dégager sur le marché français un EBITDA de plusieurs milliards d’euros si le prix de revient de son électricité vendue à 35 euros était de 42 euros.

Une marge existe donc bien et, du point de vue des concurrents potentiels, il est clair que le prix de l’ARENH fixé à 42 euros par mégawattheure ne permet pas une ouverture à la concurrence du marché des particuliers – d’ailleurs, cette ouverture n’a pas lieu.

Je note que la CRE, dans son avis de juin 2011, a signalé l’existence de ciseaux tarifaires de l’ordre de 3 à 4 euros entre les tarifs réglementés et le prix de l’ARENH. Plus précisément, elle a estimé ce ciseau tarifaire à 3,2 à 3,5 euros par mégawattheure pour le tarif bleu, 3,1 euros par mégawattheure pour le tarif jaune et 2,6 euros par mégawattheure pour le tarif vert, sur la base d’un prix de marché de 55 euros par mégawattheure – ce qui est encore son niveau aujourd’hui.

Ce ciseau tarifaire et l’impossibilité d’introduire de la concurrence pour les clients bénéficiant de tarifs réglementés tiennent à la fixation arbitraire du prix de l’ARENH au niveau trop élevé de 42 euros, qui est exactement celui que demandait EDF.

Pour estimer le bon coût du nucléaire amorti en vue de fixer un tarif, il faut tenir compte des coûts d’exploitation – ce point ne fait pas débat -, mais aussi, s’agissant des coûts passés, c’est-à-dire de la valorisation des actifs, de l’amortissement du parc et de la rémunération du capital non amorti.

S’agissant des coûts futurs, il est normal de tenir compte des coûts non productifs, comme les coûts de démantèlement et de traitement des déchets. Ils sont inclus dans les chiffres de 32 et 33 euros par mégawattheure que j’ai indiqués et dans le coût de 17 à 21 euros par mégawattheure que le régulateur belge nous impute. Autrement dit, pour le régulateur belge, l’estimation de 17 à 21 euros par mégawattheure inclut les coûts de démantèlement et de traitement des déchets.

En revanche, il n’est pas normal d’inclure dans les coûts futurs les coûts de prolongation, de mise à niveau et de renouvellement, qui ne devront être intégrés aux tarifs que lorsqu’ils seront constatés par le régulateur. En effet, il n’y a aucune raison de faire préfinancer par le consommateur d’aujourd’hui des dépenses productives qu’EDF engagera dans quinze ou vingt ans.

D’ailleurs, le fait de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes de 30 à 40 ans ou de 40 à 50 ans est l’investissement le plus rentable que je connaisse. Chaque fois que cet allongement par rapport à la durée finale d’amortissement a été envisagé en Europe, ce qui s’est produit en Allemagne – avant les décisions récentes -, aux Pays-Bas et en Belgique, ce sont les États qui ont demandé aux opérateurs de payer et non l’inverse.

On a l’impression qu’il faudrait faire payer le consommateur d’aujourd’hui pour une décision d’investissement visant à allonger, dans dix ou quinze ans, la durée de vie de centrales nucléaires – une décision qui, d’ailleurs, reste à prendre.

Or, indépendamment du fait que ces dépenses sont décalées dans le temps, puisque la question ne se pose pas aujourd’hui, c’est aux opérateurs que, dans tous les autres pays d’Europe, on a demandé de payer.

En Belgique, par exemple, j’ai négocié avec M. Van Rompuy, qui était Premier ministre.

Sur les sept centrales que nous avons dans le pays, trois vont arriver à l’âge de 40 ans en 2015 ; les quatre autres y arriveront seulement en 2025. Or la loi belge prévoit que les centrales doivent être fermées au bout de quarante ans, sauf si le gouvernement en décide autrement pour des raisons de sécurité d’approvisionnement.

Avec M. Van Rompuy, qui était convaincu de la nécessité de garder le nucléaire, nous avons négocié, dans une première étape, la prolongation de 10 ans des trois centrales les plus âgées. En échange, il a été convenu que nous paierions chaque année au budget de l’État belge une somme comprise entre 215 et 245 millions d’euros.

Aux Pays-Bas, où il n’y a qu’une seule centrale nucléaire, l’allongement a été négocié en échange d’investissements réalisés par l’opérateur, à la place de l’État, dans les énergies renouvelables et les infrastructures.

En Allemagne, à l’époque où Mme Merkel envisageait de prolonger des centrales – depuis, elle a décidé de les fermer -, elle avait négocié un allongement d’une durée moyenne d’environ douze ans, en échange duquel les opérateurs nucléaires allemands étaient invités à contribuer au budget fédéral pour 2,3 milliards d’euros.

Je le répète : il n’est pas question de prendre en compte les coûts de prolongation des centrales.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Si vous le permettez, monsieur le président-directeur général, je souhaite vous poser une question. Vous avez été très clair, mais je veux être certain d’avoir bien compris.

Vous considérez donc que, dans le prix de revient de 28 euros par mégawattheure pour la Belgique, vous intégrez les coûts de démantèlement et de traitement des déchets ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Oui, monsieur le rapporteur.

Pour ce qui est des coûts de mise à niveau post-Fukushima, il sera normal de les intégrer lorsqu’ils devront être supportés, mais pas avant.

S’agissant, enfin, des coûts de renouvellement, si jamais on devait fermer des centrales anciennes pour en construire de nouvelles, il faudrait les prendre en compte dans le paquet global au moment où les investissements seraient réalisés. Mais, de toute façon, seule la centrale de Flamanville est aujourd’hui en cours de construction. Cette question est donc marginale.

Cette approche avait conduit la commission Champsaur, le régulateur et la Cour des Comptes à retenir, pour le prix de l’ARENH, une fourchette de 32 à 33 euros par mégawattheure – à comparer au prix actuel de 42 euros par mégawattheure.

La troisième sous-question de M. le rapporteur porte sur la notion de rente, qui nous semble assez discutable s’agissant d’activités industrielles. Vous la définissez comme l’écart entre le coût de production et le prix de vente, ce qui correspond en fait à une marge. Le terme de rente est un peu particulier.

En tout cas, on peut dire qu’il n’existe pas vraiment de rente nucléaire, ou que cette rente est relativement faible, pour la part de la production vendue au niveau des tarifs réglementés. La rente est redistribuée aux consommateurs d’électricité via ces tarifs, qui correspondent à un coût sous-jacent du nucléaire compris entre 32 et 34 euros par mégawattheure.

En revanche, on peut dire qu’une rente existe pour les mégawatts vendus au prix de l’ARENH, c’est-à-dire à 42 euros par mégawattheure. En effet, entre un prix de vente de 42 euros et un prix de revient de 32 ou 33 euros, il y a 9 ou 10 euros de marge – de rente, selon votre définition – qui ne bénéficient pas aux consommateurs, mais à l’opérateur.

Si le prix de l’ARENH était porté à 50 euros par mégawattheure et les tarifs réglementés alignés sur cette valeur conformément à la loi NOME, un transfert supplémentaire, représentant des montants considérables, serait opéré des consommateurs vers l’opérateur.

Je tiens à souligner que la rente nucléaire française ne bénéficie en aucun cas aux opérateurs alternatifs. Du reste, c’est parfaitement normal. Nous n’avons jamais réclamé qu’il en aille autrement ni eu l’intention de piller qui que ce soit.

Nous connaissons le prix de revient du nucléaire, non seulement parce que nous sommes coactionnaires du nucléaire français, mais aussi parce que nous avons, en Belgique, des centrales identiques aux centrales françaises.

À l’époque, nous demandions que le prix de l’ARENH soit fixé à 35 euros par mégawattheure parce que c’est le niveau du prix de l’électricité dans le tarif bleu. Nous considérions qu’EDF réalisant de très grosses marges en vendant de l’électricité aux Français à 35 euros par mégawattheure – il suffit de voir le niveau de ses bénéfices dans ses comptes -, le fait de vendre aux fournisseurs alternatifs à un prix identique ne lui ferait pas perdre un euro.

Comme nous aurions pu proposer à nos clients des tarifs de l’ordre de 35 euros par mégawattheure, la différence ne se serait pas vraiment faite sur ce plan, tout le monde proposant des prix assez voisins. Mais le consommateur aurait eu un vrai choix, la différence se faisant sur la qualité des services, des prestations et le dynamisme commercial.

Nous n’avons pas été suivis. Mais il n’était pas question pour nous de capter une quelconque rente nucléaire d’EDF. Nous demandions simplement qu’EDF nous vende de l’électricité au prix pratiqué dans les tarifs réglementés aux particuliers.

Je m’excuse d’avoir été un peu long dans ma réponse à cette première série de questions. Je serai beaucoup plus bref pour répondre aux questions suivantes.

M. Ladislas Poniatowski, président.Nous vous en serons reconnaissants car, de cette façon, mes collègues pourront vous poser quelques questions complémentaires.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.La deuxième série de questions de M. le rapporteur concerne les déclarations de M. Philippe de Ladoucette à propos d’une augmentation de 30 % du tarif régulé de l’électricité.

Ces déclarations portaient sur les trois volets du prix de l’électricité : la CSPE, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, le TURPE, lié aux infrastructures, et l’ARENH.

S’agissant de la CSPE et du TURPE, pour lesquels il y aura en effet des augmentations, nous n’avons aucune raison de remettre en cause les chiffres de la CRE.

En revanche, nous sommes évidemment hostiles à une augmentation du prix de l’ARENH. Au contraire, nous suggérons que les prix de l’électricité pourraient diminuer si le niveau de l’ARENH était baissé en deçà de 42 euros par mégawattheure.

La sous-question suivante de M. le rapporteur porte sur la capacité de la France à conserver des prix de l’électricité compétitifs.

La réponse dépendra de sa capacité à maîtriser les coûts de l’électricité, à réduire la part du chauffage électrique dans la consommation – car cette part, lorsqu’elle est élevée, entraîne des besoins de couverture de pointe qui sont extrêmement coûteux – et à développer le mix électrique qui lui convient le mieux.

Elle dépendra aussi des choix politiques qui seront faits. À qui doit bénéficier l’avantage du parc nucléaire déjà amorti ? Aux ménages, aux industriels électro-intensifs, à EDF, au financement des énergies renouvelables ? Ces choix politiques, qui ne nous appartiennent pas, peuvent influer sur la compétitivité de notre économie.

Troisièmement, vous m’avez demandé, monsieur le rapporteur, si un groupe énergétique comme GDF Suez pouvait dresser un tableau réaliste des coûts de production de l’électricité dans les différentes filières et quel serait le mix électrique compétitif de demain.

GDF Suez n’est ni un gazier ni un électricien, mais un apporteur de solutions énergétiques qui dispose, dans sa panoplie, de l’ensemble des énergies.

Je vous rappelle que notre chiffre d’affaires global, de 90 milliards d’euros, comprend de l’électricité pour un tiers, du gaz naturel pour un autre tiers et des services pour le dernier tiers, lui-même composé de deux parties égales : les services d’efficacité énergétique et les services à l’environnement.

Les services à l’environnement sont assurés par Suez Environnement, que vous connaissez bien, c’est-à-dire notamment la Lyonnaise des Eaux, SITA et Degrémont.

En plus de vendre les commodités – l’électricité et le gaz -, GDF Suez est le plus important fournisseur de services d’efficacité énergétique en Europe. Ces services forment une branche complète qui réalise un chiffre d’affaires de 14 milliards d’euros et emploie 77 000 salariés.

Pour ce qui concerne l’électricité, nous sommes partisans d’un mix comprenant du nucléaire, de l’hydraulique, des turbines à gaz et beaucoup d’énergies renouvelables.

À propos de ces dernières, je rappelle que nous sommes le premier producteur d’électricité d’origine éolienne en France, en Italie et en Belgique, ainsi que le deuxième en Allemagne. En France, de surcroît, nous sommes deux fois plus gros que le numéro 2.

Nous disposons d’une large panoplie. En outre, depuis la fusion avec Gaz de France, nous avons augmenté nos capacités de production en France de 2 000 mégawatts, ce qui correspond à deux tranches nucléaires. Nous l’avons fait pour moitié dans l’éolien et pour moitié dans les turbines à gaz.

Le nucléaire amorti coûte 32 ou 33 euros par mégawattheure, selon le rapport de la Cour des comptes et la commission Champsaur. En Belgique, comme je le disais tout à l’heure, ce coût est un peu moindre.

Pour une centrale à gaz à cycle combiné, les coûts complets de l’électricité sont aujourd’hui compris entre 75 et 80 euros par mégawattheure.

S’agissant des énergies renouvelables, l’hydraulique est compétitif – extraordinairement compétitif, même, lorsqu’il est complètement amorti. En effet, sa durée de vie étant séculaire, les investissements peuvent être amortis sur une très longue période. À mes yeux, en outre, l’hydraulique est la plus belle source de production d’électricité. L’hydroélectrique, pour nous, c’est de l’or… Non pas en termes d’argent, mais parce que l’hydroélectricité est très belle !

M. Ladislas Poniatowski, président.Pouvez-vous nous indiquer ce que sont les coûts de production dans l’éolien ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Pour l’éolien terrestre, le coût direct est à peu près de 80 euros par mégawattheure. Il baisse un peu, mais moins vite que pour le solaire. Selon nous, il faudrait ajouter à ce chiffre entre 5 et 15 euros de coûts indirects, c’est-à-dire de coûts de réseau.

En effet, lorsqu’il y a beaucoup de vent, une production très forte peut survenir d’un seul coup et de manière très localisée. C’est pourquoi il est nécessaire de renforcer les réseaux à mesure que l’on développe l’énergie éolienne. Ce renforcement représente un coût de 5 à 15 euros par mégawattheure, qu’il convient d’ajouter au coût direct de 80 euros par mégawattheure.

Le coût des énergies renouvelables baisse plus ou moins rapidement depuis plusieurs années déjà, le prix du solaire diminuant beaucoup plus vite grâce aux nouveaux équipements et cellules photovoltaïques. Il s’agit là de domaines extrêmement concurrentiels, d’ailleurs dominés dans la période la plus récente par les Chinois, et dans lesquels les baisses de coûts ont été considérables.

L’éolien est plus cher quand il est offshore que lorsqu’il est terrestre. En outre, le prix de revient de l’éolien offshore en euro par kilowattheure n’est pas le même pour tous les mâts. Selon qu’il est installé dans une zone où il y a beaucoup de vent, par exemple au nord de l’Écosse, ou dans une zone où il y en a peu, comme dans le Calvados, un même mât pourra produire deux fois plus d’électricité.

M. Ladislas Poniatowski, président.Mais quel est le coût moyen, pour vous, en France ?

M. Jean Desessard, rapporteur. – Et ensuite, quel est le coût moyen au nord de l’Écosse ! (Sourires.)

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Le coût dépasse les 200 euros par mégawattheure en France le long des côtes et il peut tomber à 150 euros dans les régions où il y a plus de vent.

Je le répète, l’éolien offshore est nettement plus cher que l’éolien terrestre, qui n’est pas très éloigné de la rentabilité autonome. Il en était proche, notamment, quand les prix de marché en Europe étaient d’environ 75-80 euros, comme en 2007, puisque, comme je l’ai indiqué, le prix de l’éolien terrestre se situe environ à 80 euros.

Hélas pour les opérateurs, mais heureusement pour les consommateurs, les prix de marché de l’électricité sont aujourd’hui à 55 euros par mégawattheure. Ils sont les mêmes dans ce que l’on appelle la « plaque de cuivre de l’Europe de l’ouest », en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, et ils sont assez stables depuis un an ou deux, c’est-à-dire depuis le début de la crise. L’éolien terrestre, qui se rapprochait de la rentabilité d’équilibre, seuil à partir duquel les subventions auraient pu être supprimées, s’en est donc de nouveau éloigné. Cela signifie que, sans soutien public, il n’a pas de justification économique. Or nous n’anticipons pas une remontée spectaculaire des prix de marché dans les prochaines années.

Pour le nucléaire nouveau, le coût serait de 70 à 90 euros par mégawattheure, mais il n’est pas facile de faire des estimations en la matière, car nous n’avons pas d’expérience : seuls deux réacteurs sont en construction en Europe et nous ne pourrons déterminer le coût de cette énergie que lorsqu’ils seront achevés. Et encore aurons-nous alors une image imparfaite, car nous ne saurons pas ce que donnerait une véritable série, ces deux réacteurs étant des prototypes qui, l’un et l’autre, ont connu les difficultés que vous savez.

M. Jean-Pierre Vial. – Vous n’avez pas évoqué l’énergie solaire !

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Le coût du solaire baisse beaucoup. Il était de 600-700 euros par mégawattheure il y a quelques années et il se rapproche des 200 euros pour les installations les plus récentes. Toutefois, le problème est un peu le même que pour l’éolien : un équipement identique produira bien sûr beaucoup plus d’électricité au Sahara que dans le nord de l’Allemagne. Pourtant, il y a bien plus d’installations solaires dans le nord de l’Allemagne qu’au Sahara.

M. Ladislas Poniatowski, président.Et quels sont les coûts de votre énergie hydraulique ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Partout dans le monde, les coûts directs de l’énergie hydraulique sont extrêmement faibles. C’est le niveau de l’investissement qui est très élevé, même si tout dépend de la durée sur laquelle on amortit les installations.

Au Brésil, nous avons réalisé dans nos nouvelles centrales de très gros investissements, comme il n’en existe plus en France aujourd’hui. Nous amortissons les barrages sur trente ou trente-cinq ans, mais une fois l’investissement réalisé, le coût direct n’est que de quelques euros. Il suffit en quelque sorte de regarder l’eau couler.

En revanche, je le répète, l’amortissement de l’investissement est très lourd. Le coût de la construction d’un barrage est du même ordre de grandeur que celui d’une centrale nucléaire. Nous construisons actuellement au Brésil un barrage dont la capacité sera de 3 750 mégawatts, ce qui est considérable, et dont la construction coûtera de l’ordre de 8 milliards de dollars. Son coût est donc un peu supérieur à celui d’un EPR, qui s’élève aujourd’hui à 6 milliards d’euros, mais sa puissance sera 2,5 fois celle d’un tel réacteur. Et l’avantage de l’hydraulique est que, une fois les installations construites, les coûts d’exploitation sont très faibles ; il faut simplement rembourser les emprunts et amortir l’investissement.

J’en viens à la question portant sur le mix électrique. Celui-ci devra être diversifié, c’est notre credo. Il devra aussi être flexible – ce point est très important.

Une telle flexibilité n’est apportée ni par le nucléaire, qui fonctionne en base, ni par le renouvelable, qui est intermittent. Dans notre parc électrique, nous devrons avoir des installations flexibles, c’est-à-dire qui produisent de l’électricité quand on le leur demande.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Donc du gaz ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Des turbines à gaz, absolument. Il s’agit d’un élément de flexibilité qui est partout reconnu.

M. Ladislas Poniatowski, président.Bien sûr !

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Quatrièmement, vous m’avez demandé quel jugement je portais, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération.

Les mécanismes mis en oeuvre, tels que les tarifs de rachat, les appels d’offres ou le crédit d’impôt, correspondent à des coûts divers pour les consommateurs d’électricité et/ou le contribuable, depuis l’éolien on shore, qui est proche des prix de marché, jusqu’au photovoltaïque intégré au bâti, qui se situe encore aujourd’hui dans le haut de la fourchette.

Le soutien à des technologies de maturités variées, qui représentent des coûts différents pour la collectivité, peut évidemment se justifier selon la diversité des objectifs visés, qu’il s’agisse de politique environnementale, dans une perspective d’abaissement du coût des technologies, ou de politique industrielle. De façon générale, on pourrait sans doute faire un peu plus pour la recherche-développement en France, c’est-à-dire pour l’offre, et un peu moins pour la demande, surtout lorsque les technologies sont loin de la compétitivité.

Nous estimons qu’il est important de mesurer et d’assumer les coûts du soutien aux énergies renouvelables, et cela partout en Europe. Trop souvent, le débat sur le coût des énergies renouvelables vient seulement ex post, par exemple lorsque l’on discute de la CSPE, la contribution au service public de l’électricité. En Allemagne, de même, le coût de l’électricité a été renchéri de façon très considérable chaque année, à cause des gigantesques installations photovoltaïques qui ont été créées.

Toute politique énergétique repose sur un triangle dont les sommets sont l’environnement et le climat, la sécurité de l’approvisionnement et la compétitivité. Or les politiques européennes, et souvent aussi les politiques nationales, ont privilégié le climat et l’environnement, négligé quelque peu la sécurité de l’approvisionnement, notamment en ne prenant pas assez en compte le caractère fortement intermittent des énergies renouvelables, et oublié complètement la compétitivité.

Le problème du coût du système n’a pas véritablement été posé au moment où les orientations en matière d’énergies renouvelables ont été prises. Cela ne signifie pas forcément que l’on aurait pris des décisions différentes, mais il aurait fallu les assumer complètement, alors que l’on n’a même pas envisagé leurs conséquences.

Cinquièmement, vous m’avez demandé, monsieur le rapporteur, quelle était la manière correcte de fixer les prix de l’électricité et s’il fallait s’en remettre entièrement au marché.

Selon nous, la fixation des prix de l’électricité doit respecter un principe, à savoir faire en sorte que les consommateurs paient le juste prix.

« Juste » signifie, je le dis d’emblée, qu’il faut distinguer les ménages en situation de précarité énergétique et les autres et consolider les dispositifs en faveur des premiers. C’est ce que nous avons proposé au Gouvernement pour ce qui concernait le gaz, et c’est d’ailleurs ce qui a été fait, mais pas tout à fait comme nous l’avions suggéré.

« Juste » signifie aussi qu’il faut assumer une politique de vérité des coûts, qu’il s’agisse du gaz – en acceptant de payer le prix de la sécurité d’approvisionnement, c’est-à-dire les contrats à long terme, qui aujourd’hui sont indexés sur le pétrole, et nous n’y pouvons rien – ou de l’électricité, avec des tarifs reflétant les coûts réels d’approvisionnement, y compris ceux du nucléaire amorti.

La méthode pour y parvenir relève, là encore, du choix politique.

Le marché est une possibilité, dès lors que l’on parvient à intégrer dans les prix la valeur de la sécurité énergétique et de la prévention du changement climatique, donc les émissions de CO2.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Absolument.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Le tarif est une autre possibilité, sans constituer une nécessité, sauf dans le cas des tarifs sociaux.

La loi NOME, si elle n’est pas parfaite – je me suis exprimé sur ce point -, permet, à condition qu’elle soit correctement appliquée, de concilier deux grands objectifs : d’une part, laisser l’avantage nucléaire au consommateur, ce qui implique de ne pas fixer le prix de l’électricité à 42 euros, et, d’autre part, ouvrir la concurrence aval au bénéfice du consommateur, comme nous le proposions avec notre chiffre de 35 euros, qui ne pénalisait en rien EDF, qui ne transférait pas de marge aux opérateurs alternatifs et qui offrait au consommateur un choix dont celui-ci ne dispose pas aujourd’hui.

Sixièmement, et enfin, vous m’avez interrogé sur l’obligation faite aux électriciens d’acquérir à titre onéreux l’ensemble de leurs quotas d’émission de gaz à effet de serre à compter de 2013.

Nous considérons que cette mesure n’emportera pas de véritables conséquences sur les marchés de gros, qui intègrent déjà le coût d’opportunité du CO2, même si celui-ci est très faible aujourd’hui, ce qui signifie que le signal-prix est très réduit.

Sur le marché français, qui est fortement connecté avec ses voisins, on peut déjà observer que le coût du CO2 est pris en compte dans le prix du mégawattheure. Pour donner un ordre de grandeur du contenu en CO2 de la production électrique de la centrale marginale sur ce marché, à raison de 500 kilogrammes de CO2 par mégawattheure et de 10 euros la tonne de CO2, ce coût est d’environ 5 euros par mégawattheure. Telle est, grosso modo, la part du CO2 dans le prix de marché.

Ce sera également vrai pour les clients qui bénéficient de l’ARENH, puisque leurs factures dépendent de ce dernier et du prix de gros.

En revanche, pour les autres clients, ce n’est pas le prix de gros qui sera déterminant, mais le niveau des tarifs réglementés. En toute rigueur, celui-ci devrait donc inclure le coût des quotas de CO2, qui seront payants à partir de 2013, au moins pour la part fossile de la production française. Cette dernière étant essentiellement nucléaire et hydroélectrique, elle est très faiblement émettrice en CO2.

En Belgique, la question se pose dans des termes différents, dès lors qu’il n’y a pas de tarifs réglementés, mais des prix réputés libres. Cela ne veut pas dire pour autant que les pouvoirs publics se désintéressent du sujet, loin s’en faut. En tout cas, le régulateur, lui, n’y est pas indifférent.

Pour les prix de gros, nous n’anticipons pas un impact très considérable du changement du régime relatif au CO2, mais il serait logique d’intégrer proportionnellement cette mesure dans les tarifs réglementés.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Pour la prise en compte du coût du CO2, vous avez évoqué le chiffre de 5 euros par mégawatt.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Tout à fait.

M. Jean Desessard, rapporteur. – C’est considérable !

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Oui, mais ce coût est déjà implicitement intégré aujourd’hui.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Entendu.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Dans les 55 euros du prix de marché de gros, on peut estimer que 5 euros environ correspondent au coût du CO2.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Merci.

M. Ladislas Poniatowski, président.Monsieur Mestrallet, je souhaiterais obtenir une précision sur votre réponse à la quatrième question de notre rapporteur, qui portait sur les prix de rachat de l’électricité à partir des énergies renouvelables. Vous êtes présents dans l’éolien dans plusieurs pays : en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et sur le continent américain, me semble-t-il.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Oui, aux États-Unis, au Canada, au Panama, au Brésil, au Chili, au Pérou.

M. Ladislas Poniatowski, président.Quelles sont les conditions de rachat ? Où gagnez-vous de l’argent et où en perdez-vous ? En effet, nous souhaiterions avoir des éléments de comparaison entre la France et les autres pays.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Nous essayons de gagner de l’argent partout ! (Sourires.)

Dans certains pays, nous avons parfois le sentiment que la décision de consacrer autant d’incitations et de subventions aux énergies renouvelables est discutable, dans l’intérêt même de la collectivité, mais il s’agit d’un choix politique, que nous respectons évidemment.

Pour notre part, nous investissons en faisant des choix rationnels. Pour tout investissement dans l’éolien, nous réalisons des calculs extrêmement simples, qui intègrent, d’une part, le coût d’investissement et, de l’autre, la production d’électricité dépendant du régime des vents. En France, c’est très facile à calculer : c’est un prix de rachat de l’électricité, ce que l’on appelle un feed-in tariff. Toute l’électricité produite est rachetée à un certain prix. Il ne faut donc se tromper ni sur le coût de l’investissement ni sur le régime des vents,…

M. Ladislas Poniatowski, président.C’est un calcul d’amortissement.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.… mais en principe tout est connu à l’avance, et le taux de rentabilité que nous obtenons est le même partout.

Le plus souvent, des appels d’offres sont proposés, et nous soumettons ensuite nos projets. Les gouvernements sélectionnent les meilleurs candidats, et nous avons un taux interne de rentabilité, qui est le coût du capital augmenté de 2 %. Nous soumettons alors un prix de vente.

M. Ladislas Poniatowski, président.En somme, vous gagnez de l’argent en fonction de l’offre que vous avez faite.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Voilà.

M. Ladislas Poniatowski, président.La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. – Comme pour chaque audition passionnante, nous aurions plusieurs dizaines de questions à poser… S’agissant du prix de marché européen de 55 euros, est-il déterminé par le mégawatt charbon, ou par un mix entre le nucléaire, le gaz et charbon ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Le gaz et le charbon entrent aussi en considération. Le prix dépend logiquement du temps, car ce sont les centrales marginales qui le déterminent. Et ces 55 euros valent évidemment pour une bande, sachant que les prix de l’électricité sont extrêmement volatils ; comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, ils peuvent s’élever jusqu’à 2 000 euros ou plus.

En effet, nous ne savons pas stocker l’électricité en grosse quantité. La question du stockage de l’énergie est, à mon avis, un problème central.

M. Ronan Dantec. Tel était le sens de ma question sur le coût. Dans tous les chiffres que vous donnez, nous voyons se dessiner une espèce de convergence des coûts entre 60 et 80 euros pour le nucléaire de nouvelle génération, le combiné gaz et l’éolien. Toutes ces énergies se situent à peu près dans les mêmes gammes de prix aujourd’hui.

Or vous êtes un opérateur européen. La stratégie d’interconnexion qui est portée par la Commission européenne devrait, sinon sécuriser la distribution et éviter les black-out, du moins permettre une fluidité plus forte de l’électricité. Cela aura un impact sur les prix et les stratégies des opérateurs, qui pourront raisonner encore davantage à l’échelle européenne. Dans ce cadre, la question de la puissance crête installée en Europe, tous types de production confondus, sera, à mon avis, de plus en plus stratégique.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Absolument.

M. Ronan Dantec. On parle souvent de consommation et trop peu de capacité de puissance crête.

Selon vous, la question du stockage ne sera-t-elle pas essentielle demain, par exemple grâce aux techniques dites de « méthanation », c’est-à-dire à la production de méthane à partir d’hydrogène et de gaz carbonique ?

Comme par ailleurs vous êtes présent dans le gaz, vous pourriez faire, d’une part, du grand éolien et, d’autre part, sur les surplus dégagés, puisque nous raisonnerions en puissance crête, du combiné gaz, ce qui créerait une synergie sur votre offre. Vous êtes un opérateur européen particulièrement bien placé pour mener une telle stratégie.

Cette perspective a-t-elle du sens à moyen terme ? Les investissements en recherche et développement correspondent-ils à l’enjeu ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur.

Tout d’abord, à l’échelle européenne, une meilleure interconnexion permettra d’élargir la base sur laquelle les capacités de réserve doivent être calculées. Si l’Europe était une simple juxtaposition de pays, sans interconnexion, la somme des capacités de réserve à mettre en jeu serait évidemment beaucoup plus importante. Plus nous parvenons à interconnecter nos réseaux, plus la solidarité est possible et plus on peut utiliser dans un pays qui en a besoin les capacités de réserve non utilisées d’un autre pays. Naturellement, cette évolution participera, dans une proportion qui n’est sans doute pas facile à déterminer, de la baisse collective du coût par la diminution de la capacité crête nécessaire.

Ensuite, il est vrai que la grande particularité du marché de l’électricité est qu’il est très difficile de stocker celle-ci en grosse quantité.

Aujourd’hui, nous ignorons comment stocker l’énergie sous forme d’électricité. Nous savons transformer en électricité l’eau stockée dans les barrages, mais nous ne parvenons pas à faire le chemin inverse, sauf dans les stations de pompage, en remontant le niveau de l’eau, par exemple pendant la nuit, dans un réservoir. Il existe très peu de stations de pompage : en France, sur une production de 100 000 mégawatts, celles-ci concernent peut-être seulement 3 000 ou 4 000 mégawatts. De même, nous produisons de cette façon 1 000 mégawatts en Belgique, 1 000 aux États-Unis et 2 000 mégawatts au Royaume-Uni, où nous possédons la plus grosse station de pompage d’Europe.

M. Ladislas Poniatowski, président.Avec une seule centrale hydraulique ? Où est-elle située ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Cette centrale se trouve dans le pays de Galles, et elle est la plus importante de ce type en Europe. Elle appartenait à International Power, une entreprise britannique implantée surtout dans les pays émergents, mais présente aussi au Royaume-Uni. Quand nous nous sommes rapprochés de ce groupe, nous avons trouvé cette très belle station de pompage dans la corbeille.

M. Ladislas Poniatowski, président.Cela faisait partie du lot de la mariée !

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Aujourd’hui, il est très difficile de construire de nouvelles stations de pompage. Il existe un projet en France, dans la vallée de la Dordogne, qui fera partie du paquet des concessions hydroélectriques le jour où celles-ci seront mises en concurrence.

Une autre façon de stocker l’énergie est d’utiliser le gaz. Ce dernier peut être transformé en électricité dans des centrales à cycle combiné, comme il en existe six ou sept en France. GDF Suez dispose du plus important parc de centrales à cycle combiné au monde, soit 280 installations.

Ces centrales sont extrêmement flexibles. Toutefois, comme vous le signaliez, monsieur le sénateur, nous ne savons pas parcourir le chemin inverse aujourd’hui, c’est-à-dire que nous ne parvenons pas à transformer l’électricité dont nous disposons en gaz. Certes, nous y arrivons en laboratoire, où il est possible de produire du méthane grâce à la double synthèse, c’est-à-dire à partir de CO2 et d’eau. Peut-être y parviendrons-nous un jour sur une base industrielle, ce qui offrirait au système énergétique une flexibilité tout à fait extraordinaire. En tout cas, nous suivons bien sûr ces travaux très attentivement, car maîtriser une telle technique, pour nous qui sommes à la fois électriciens et gaziers, ce serait le rêve !

Je soulignais tout à l’heure que nous pourrions faire un effort de recherche et développement plus important en ce qui concerne les énergies nouvelles. Ici, il s’agit non pas tout à fait d’une énergie nouvelle, mais en tout cas d’une nouvelle forme de production d’électricité. Si la France pouvait réaliser des progrès dans ce domaine, elle disposerait d’un avantage compétitif important.

M. Ronan Dantec. Avez-vous engagé Suez dans cette direction ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Au sein de GDF Suez, le CRIGEN, le Centre de recherche et innovation gaz et énergies nouvelles, s’en occupe. Il ne s’agit pas de recherches très lourdes à ce stade, mais évidemment ces questions nous intéressent.

Je voudrais signaler à la commission d’enquête une particularité du prix de l’électricité. J’indiquais tout à l’heure que, en cas de tensions très fortes, quand toutes les capacités sont saturées, ce prix pouvait s’envoler, passant de 55 euros à 1 000 euros ou à 2 000 euros ; nous avons même atteint les 3 000 euros sur le marché français, malgré le nucléaire.

Toutefois, à l’inverse, le prix de l’électricité peut être négatif. En effet, lorsque les centrales nucléaires tournent, qu’il y a beaucoup de vent et que la somme de cette production est supérieure à la consommation instantanée, il y a trop d’électricité. Comme nous ne pouvons arrêter ni les centrales nucléaires ni les éoliennes, même si certaines de ces dernières peuvent désormais être débranchées, l’électricité est proposée alors à un prix négatif. De là l’intérêt des systèmes de stockage ou des stations de pompage.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Où va cette électricité qui est en surproduction, comme les fruits des agriculteurs à certains moments de l’année ?

Mme Laurence Rossignol. Mystères de la technique !

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Il faut que cette électricité soit consommée de toute façon. À tout moment, la production et la consommation doivent s’équilibrer. Comme on ne peut pas arrêter la production, on paye une entreprise pour qu’elle la consomme.

M. Ronan Dantec. Cela arrive souvent ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Non, c’est assez rare. En revanche, en Espagne et en Allemagne du nord, où il y a beaucoup d’éoliennes, cela arrive plus fréquemment. La part de l’éolien en France est faible : il représente 6 000 mégawatts.

M. Ladislas Poniatowski, président.La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Si nous raisonnons à l’échelle européenne, comme la capacité de production éolienne augmente de façon significative d’année en année, la surproduction que vous évoquez va logiquement s’accroître elle aussi. Dès lors, est-ce que des capacités de stockage ne trouveraient pas leur équilibre économique dans les trois, quatre ou cinq prochaines années ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Il faut parier ici sur la volatilité du marché, qui doit permettre de stocker l’électricité quand elle est trop abondante, donc achetée peu cher, et de la revendre pour écrêter les pointes, lorsque son prix est élevé. Il s’agit de calculs assez complexes, mais je pense que tous les dispositifs de stockage de l’énergie doivent être étudiés.

Du reste, nous travaillons aussi sur le stockage de l’énergie sous forme d’air comprimé. On remplit des cavités souterraines de gaz et on les comprime avec de l’air mû par des pompes, donc en utilisant de l’électricité. Quand on veut utiliser cette énergie retenue, au moment des pointes de consommation, on rouvre la cavité et on fait tourner une turbine qui produit de l’électricité.

M. Ladislas Poniatowski, président.La parole est à M. Jean-Marc Pastor.

M. Jean-Marc Pastor. – Vous avez évoqué la question du stockage, et je partage tout à fait votre sentiment. Il s’agit d’un chantier considérable, qui doit nous permettre de valoriser toutes les capacités de production d’énergie dont nous disposons.

Vous avez cité l’Espagne et son usage des énergies renouvelables et de l’éolien. Dans ce pays, plusieurs sites tournent en permanence, à pleine puissance et avec un stockage de l’énergie excédentaire sous forme d’hydrogène. Est-ce que vous travaillez sur cette voie, et qu’en pensez-vous ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.L’hydrogène est au coeur du processus de la double synthèse, qui vise à produire du méthane. Il y a là un continuum de recherches. Le schéma est le même et les deux domaines doivent être explorés simultanément, car ils sont également prometteurs.

M. Jean-Marc Pastor.Et ils présentent des coûts qui restent intéressants. Peut-être la commission d’enquête pourrait-elle auditionner des acteurs qui sont concernés directement par cette technique ? À Toulouse ou à Huesca – ce n’est pas si loin -, de telles opérations sont menées depuis vingt ans maintenant.

M. Ladislas Poniatowski, président.La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Monsieur Mestrallet, vous avez évoqué les services d’efficacité énergétique, en soulignant qu’ils représentaient pour GDF Suez un chiffre d’affaires de 14 milliards d’euros. Du coup, j’ai une question peut-être anecdotique : quand vous vendez l’électricité à 2 000 euros en période de pointe, utilisez-vous les services de traders qui, en fonction de la météorologie et de la demande d’énergie, déterminent le prix de vente ? Et fixent-ils ce dernier à la journée, à l’heure, à la minute ?…

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Le prix est fixé pour des périodes extrêmement courtes, c’est-à-dire quelques minutes, parfois quelques secondes. Nous disposons d’une plate-forme d’interface avec le marché, animée par des traders – en effet, il existe aujourd’hui des bourses de l’électricité, une en France, à Paris, une en Belgique, une en Allemagne, une aux Pays-Bas – et d’une équipe de gestion de l’énergie, Energy management. Celle-ci, que nous avons choisi d’organiser à l’échelle européenne au début de cette année – une décision maintenant effective -, donne des ordres à toutes nos centrales sur le continent en fonction du marché.

Les centrales nucléaires tournent en base et les énergies renouvelables produisent une électricité qui est dite « fatale ». En revanche, les nombreuses centrales à gaz, les centrales à charbon et les centrales hydrauliques peuvent couvrir les besoins de pointe. Elles sont appelées, par ordre de mérite, par l’équipe d’Energy management, tandis que l’équipe de trading fait l’interface avec le marché.

Nous fournissons bien entendu d’abord nos clients contractuels – c’est la règle -, puis nous vendons l’énergie excédentaire sur le marché. La particularité de la France, c’est que les pointes de consommation y sont liées aux vagues de froid, en raison de la place importante qu’occupe le chauffage électrique.

Le grand intérêt de la production hydroélectrique, c’est qu’elle peut être mise en oeuvre quand toutes les autres capacités sont saturées et qu’il y a encore, malgré tout, une demande. Nos équipes s’efforcent alors d’écrêter cette pointe et de faire en sorte que tous les consommateurs aient de l’électricité.

M. Ladislas Poniatowski, président.Monsieur Mestrallet, merci beaucoup. Peut-être notre rapporteur sera-t-il amené, dans le cadre des travaux qu’il va suivre pendant trois mois, à vous interroger de nouveau, notamment par écrit. Ne soyez pas surpris si tel est le cas.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.Je me tiens naturellement à votre disposition et lui répondrai bien volontiers.

M. Ladislas Poniatowski, président.Je vous remercie d’avoir répondu aux questions qui vous avaient été adressées et à celles que nous vous avons posées aujourd’hui.

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF Suez.C’est moi qui vous remercie, monsieur le président.

Audition de M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques

M. Ladislas Poniatowski, président. – Monsieur Radanne, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de la commission.

Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu’il vous pose ses questions, je voudrais vous rappeler l’historique de la constitution de la présente commission d’enquête.

Chaque groupe politique du Sénat a droit à la création d’une commission d’enquête ou mission d’information par année parlementaire, sur un sujet qui préoccupe ses membres. Le groupe écologiste a utilisé ce droit afin de se pencher sur le coût de l’électricité dans notre pays.

Je vais maintenant vous faire prêter serment, Monsieur Radanne, conformément à la procédure applicable aux commissions d’enquête.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

(M. Pierre Radanne prête serment.)

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Monsieur Radanne, je vous rappelle les cinq questions que je vous ai adressées.

Tout d’abord, les tarifs actuels de l’électricité vous paraissent-ils refléter fidèlement le coût réel de l’électricité ?

Ensuite, à vos yeux, quel est le coût de chaque filière de production d’électricité ? D’un strict point de vue économique, le nucléaire est-il un mode de production durablement compétitif ?

Vous plaidez pour un développement massif des énergies renouvelables. Pouvez-vous chiffrer l’effort nécessaire en matière de production d’électricité ? Comment se traduirait-il dans le prix de l’électricité, à savoir du point de vue des coûts de production et de réseau ainsi que de la taxation ?

La sécurité de la fourniture d’électricité aux consommateurs sera-t-elle assurée sans un développement massif et coûteux des centrales à gaz ? Un tel scénario de développement des énergies renouvelables vous semble-t-il acceptable par les Français, souvent défiants à l’égard de l’éolien ?

Dans quelle mesure la montée en puissance des énergies renouvelables a-t-elle un impact sur les investissements effectués pour rénover et adapter notre réseau d’acheminement d’électricité ?

Par ailleurs, quel jugement portez-vous, filière par filière, sur le mécanisme actuel de soutien aux différentes énergies renouvelables et à la cogénération ?

Enfin, de manière concrète, à consommation électrique égale, une sortie du nucléaire peut-elle être réalisée sans un renchérissement du coût de l’électricité et une augmentation importante des émissions françaises de gaz à effet de serre ? Plus concrètement, que pensez-vous des différentes évaluations qui ont été réalisées sur le coût de la sortie du nucléaire en Allemagne ?

M. Ladislas Poniatowski, président. – La parole est à M. Pierre Radanne.

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Monsieur le rapporteur, la réponse à la deuxième question que vous m’avez posée éclairant toute la discussion, je vais vous la fournir en premier.

Une grande confusion existe dans le débat aujourd’hui entre coût et surcoût. Pour ma part, vous vous en doutez, je suis hostile à toute destruction de capital. Autrement dit, les ouvrages existants ne doivent pas être remplacés avant la fin normale de leur vie. Notre pays ne dispose pas d’une richesse telle qu’il puisse se permettre de mettre au rebut des installations avant l’arrivée à terme de leur fonctionnement normal.

À cet instant de la discussion, il est essentiel de revenir sur le contexte actuel, notamment après l’accident de Fukushima.

Le secteur de l’énergie obéit à des cycles de grande amplitude.

Un premier cycle a été enclenché après la Seconde Guerre mondiale, en raison de la destruction de l’ensemble du système énergétique européen. L’Europe a alors restructuré ce dernier : des monopoles publics ont été instaurés pour effectuer des investissements massifs dans le domaine de la reconstruction.

Un deuxième cycle a commencé en 1973 avec le choc pétrolier dû non pas à une rupture d’approvisionnement ou à une pénurie de ressources, mais à notre dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient, qui, à l’époque, s’était embrasé. En effet, il a été confronté à la guerre du Kippour et à la guerre entre l’Iran et l’Irak. De ce fait, le prix du pétrole a été multiplié par dix.

Tous les pays qui ont eu les moyens de recourir au nucléaire l’ont fait. Il est important de noter que les installations nucléaires de tous les pays ont le même âge. Tous les réacteurs ont été construits entre 1973 et 1990, sauf ceux des pays émergents – la Chine et l’Inde -, qui sont plus récents.

Depuis 1990, aucun investissement de production n’a été réalisé, car la plaque européenne se trouvait en surcapacité. Ainsi, depuis cette même année, le coût du kilowattheure en France a chuté de 40 %, en raison de l’absence d’investissements massifs.

Comment se classent les différents moyens de production ?

Le coût de l’énergie nucléaire est lié à celui d’opérations complexes telles que le démantèlement et le stockage des déchets et à des éléments de risque. Le prix du kilowattheure de l’électricité produite à partir de combustibles fossiles est forcément dépendant de l’évolution à court et surtout à moyen terme de celui du pétrole et du gaz. Je n’évoque pas le charbon sur lequel ne pèse pas la même incertitude. Quant aux énergies renouvelables, leur coût est prévisible et n’est pas indexé sur la colère du monde. Il est lié aux coûts de production et aucune dépendance extérieure ne l’influe.

Il est essentiel de bien situer les incertitudes. Pour ce qui concerne les combustibles fossiles, aujourd’hui, l’électricité n’est quasiment plus produite à partir du pétrole dans les pays industrialisés. Quant au gaz, il attire toutes les convoitises. Cette énergie est utilisée en priorité pour le chauffage et en tout point du monde pour produire de la vapeur industrielle. Elle est également de plus en plus utilisée pour la production d’électricité, notamment pour celle qui est destinée à être stockée afin de faire face aux pointes de consommation. Elle l’est d’ailleurs à tel point que, aujourd’hui, la production d’un kilowattheure électrique consomme pratiquement plus de gaz qu’un chauffage à gaz.

À long terme, une incertitude très forte concerne l’évolution du prix du gaz, indépendamment de la quantité de ressource disponible. En effet, d’importantes tensions peuvent peser sur l’approvisionnement gazier parce que cette énergie, qui, du point de vue logistique, est la plus difficile à transporter, est très sollicitée.

J’en viens à la question portant sur le nucléaire.

J’ai fait partie du groupe d’experts de la Cour des comptes qui a enquêté pendant six mois sur les coûts de cette filière. Il a reconstitué le prix du kilowattheure nucléaire à partir des coûts historiques, sachant que le coût de construction du parc nucléaire français s’est élevé à 73 milliards d’euros. Mais quid des coûts futurs ? La Cour, bien que n’ayant jamais dû procéder à de la prospection sur des coûts futurs tout au long de son histoire, a essayé de se prononcer sur ce point.

Je dois vous avouer que je ne connais pas le prix du kilowattheure nucléaire – d’ailleurs, personne ne le connaît – pour une raison très simple : il ne sera connu qu’aux environs de 2080, quand l’ensemble du cycle sera achevé, notamment lorsque les opérations de démantèlement auront été effectuées.

Mesdames, Messieurs les sénateurs, vous devez avoir conscience de l’importance de l’incertitude qui caractérise toute expression honnête sur cette question.

L’estimation du coût du démantèlement relevée par la Cour des comptes, à la suite d’une enquête internationale, varie de 1 à 3.

Pour ce qui concerne le stockage des déchets nucléaires, la représentation nationale a voté la loi de 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs et a prévu la réversibilité de la gestion des déchets. Mais dans les calculs effectués par les différents opérateurs, au premier rang desquels l’État, le coût des déchets nucléaires n’est pris en considération que sur une période de cent ans.

Par ailleurs, la Cour des comptes s’est interrogée sur le taux d’actualisation. Autrement dit, quelle préférence est accordée aux investissements futurs ?

Historiquement, au moment de l’engagement du programme nucléaire, le taux d’actualisation était de 8 %. L’OCDE a toujours visé les 5 %. Actuellement, EDF et les opérateurs retiennent ce dernier taux. Pour ma part, j’ai plaidé pour une fourchette comprise entre 1,5 % et 2 %, me fondant sur un raisonnement qui a fait l’objet de plusieurs thèses. En effet, la ressource financière prélevée sur les générations futures ne doit pas être supérieure à la croissance économique, sauf à les appauvrir. Un choix politique peut néanmoins être fait en ce sens.

Quoi qu’il en soit, un taux d’actualisation compris entre 1,5 % et 2 % par an, correspondant au taux de la croissance actuellement envisagé, assurerait une neutralité, si la France n’enregistre pas une hausse importante de sa population active. Tous les experts s’accordant aujourd’hui à reconnaître que les gains de productivité sont de l’ordre de 1,5 % par an, la fourchette que je conseille de retenir est sincère et prudente.

La prise en compte de ces différents éléments relatifs au démantèlement et au taux d’actualisation change considérablement le prix du kilowattheure. La Cour des comptes, faute de temps, n’a pas pu réintégrer le coût lié à la recherche, soit 38 milliards d’euros depuis 1945, ni celui de Superphénix de 24 milliards d’euros. Elle a établi le coût du mégawattheure à 50 euros. Ce chiffrage n’est guère différent de celui de la commission Champsaur qui était de 42 euros.

Il ne faut pas non plus oublier le coût des assurances. En dehors de la convention de Paris, aujourd’hui, aucun accord international ne vise l’assurance du nucléaire. Sachez que le coût d’assurance du parc des 58 réacteurs nucléaires français s’élève à 91 millions d’euros par an seulement. En réalité, ce chiffre représente un millième du coût de construction et ne prend pas en compte les dégâts extérieurs dus à des accidents.

Monsieur le rapporteur, vous m’avez demandé si les tarifs de l’électricité reflétaient fidèlement le coût de l’électricité. Vous le savez, depuis plusieurs années, EDF et la Commission de régulation de l’électricité – la CRE – envisagent une augmentation de 30 %. Cette hausse sera probablement supérieure, ne serait-ce que parce que les coûts de l’électricité ont diminué de 40 % depuis 1990. Forcément, on va revenir à des coûts compatibles avec ceux qui avaient cours au moment de la construction du programme nucléaire.

Je veux maintenant aborder les difficultés qu’a fait surgir l’accident qui s’est produit à Fukushima.

La volonté d’EDF est de faire passer la durée de fonctionnement des réacteurs de 40 à 60 ans, sachant que le réacteur de Fessenheim, le plus ancien, aura 40 ans en 2017, soit demain. Par la suite, sur une quinzaine d’années, l’ensemble des réacteurs atteindront cet âge.

Vous le constatez, les temps d’investissement dans ce secteur d’industrie sont extrêmement longs. Les chiffrages effectués par EDF relatifs au montant des investissements nécessaires pour prolonger la durée de vie des réacteurs s’établissent à 50,4 milliards d’euros, somme qui doit être comparée au coût initial de construction de 73 milliards d’euros. Par conséquent, 50,4 milliards d’euros seront investis pour prolonger de 20 ans le fonctionnement des réacteurs, alors que 73 milliards d’euros ont permis de faire tourner ceux-ci pendant 40 ans. C’est en quelque sorte le coût de la jouvence des réacteurs. Je vous précise, mesdames, messieurs les sénateurs, que tous les chiffres que je vous cite sont en euros 2010.

Vous le savez, une incertitude pèse sur les cuves. En effet, il n’est pas possible de changer la cuve d’un réacteur compte tenu du bombardement neutronique que ce dernier a subi. Or nous ne connaissons pas la durée de vie d’une cuve. C’est l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, qui décidera, à la suite d’enquêtes décennales notamment, si la cuve de tel réacteur est encore fonctionnelle ou s’il faut envisager l’arrêt du réacteur en raison de la fragilité de sa cuve.

Tel était le contexte avant l’accident de Fukushima. Mais cette catastrophe a fait apparaître un élément que personne n’avait prévu, à savoir la survenue possible d’un désordre dû non pas au réacteur, mais à une cause extérieure. En l’occurrence, il s’agissait d’un tremblement de terre associé à un tsunami.

Il résulte de la réflexion menée par l’Autorité de sûreté nucléaire que les sites ont été très mal conçus. Les piscines de stockage ont été installées à côté des réacteurs. Par conséquent, si un problème survient au niveau de la piscine, la gestion du réacteur sera difficile. Il n’existe pas de PC de crise. En cas d’interruption de l’approvisionnement en eau, aucune réserve n’est prévue. En cas d’arrêt de fourniture d’électricité, les groupes électrogènes sont sans protection.

Certes, en France, le risque de voir surgir un tsunami est pratiquement nul, mais un avion peut s’écraser sur la piscine d’un réacteur qui se trouve dans un baraquement en tôle et qui contient deux fois plus de radioactivité en son sein que le coeur. Un acte de terrorisme peut être commis ou un feu industriel de proximité peut survenir. Différents risques doivent donc être envisagés.

L’Autorité de sûreté nucléaire a remis un rapport au début du mois de janvier, mais ce document ne comporte aucun chiffre. L’Autorité demande aux opérateurs de chiffrer le coût de la mise à niveau, tout en prenant en considération les enseignements qui ont pu être tirés de l’accident de Fukushima.

Pour sa part, EDF a annoncé un surcoût de 10 milliards d’euros qui ne prévoit pas le confinement des piscines de stockage. La négociation entre l’ASN et EDF va se poursuivre. Par conséquent, je ne connais pas le montant des investissements supplémentaires qui devront être faits. Si le chiffre de 10 milliards d’euros est maintenu, il s’ajoutera aux 50,4 milliards d’euros que j’ai cités tout à l’heure.

Par ailleurs, je rappelle que, en France, tous les réacteurs ont été construits en même temps et avec les mêmes matériaux. Donc si l’ASN constate, à un moment quelconque, une défaillance sur la cuve d’un réacteur, la difficulté sera alors de nature générique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, eu égard à mon expérience industrielle, je peux vous dire qu’aucun industriel au monde, dans quelque secteur que ce soit, n’aurait commis la faute d’avoir des usines ayant toutes le même âge. Je crains non pas le nucléaire en tant que tel, mais le nucléaire du quatrième âge, c’est-à-dire la fin de vie des réacteurs alors qu’il n’existe pas de protection.

Comme les réacteurs ont été commandés par paquets – à la fin des années soixante-dix, six commandes de réacteurs ont été passées – et que, aujourd’hui, personne n’envisage de construire des équipements nucléaires ou autres à une telle cadence, il va falloir lisser les réinvestissements. Par conséquent, que l’on sorte du nucléaire ou pas, il va falloir commencer rapidement ces réinvestissements, afin de retrouver une pyramide des âges normale des équipements de production électrique. À l’heure actuelle, comment imaginer que l’entreprise Renault n’ait que de vieilles usines ?

Vous le constatez, monsieur le rapporteur, le coût réel de l’électricité doit prendre en considération l’engagement de trois dépenses simultanées : une dépense liée à la prolongation de vie des réacteurs, si cette option est retenue, une dépense relative à la protection au regard de l’accident survenu à Fukushima et une dépense liée aux investissements consacrés à la reconstruction du parc. N’oubliez pas non plus un point déterminant : la réalisation d’économies d’électricité.

Vous avez évoqué la vague de froid et le marché spot.

Au moment de la vague de froid qu’a subie notre pays, j’ai contacté Réseau de transport d’électricité, RTE, pour connaître la part de la France dans la pointe de consommation d’électricité de l’Europe des Vingt-Huit. Cette quotité correspond à la moitié. En Allemagne, pays qui a 12 millions d’habitants de plus que la France et dont la capacité industrielle est supérieure, la pointe s’élève à 50 gigawatts. Or celle de la France s’établit à 101,7 gigawatts.

Dans les dix dernières années, la pointe électrique française a augmenté de 25 %, alors que la hausse de la consommation d’électricité a été inférieure à 10 %. Ce fait est dû au recours au chauffage électrique qui place la France dans une situation de grande fragilité. Heureusement que le reste de l’Europe n’a pas fait le même choix…

Un problème se pose : alors qu’entre 1990 et le milieu des années 2000 l’Europe se trouvait dans une situation de surcapacité électrique, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Cet hiver, on a pu le constater, la conjoncture était tangente.

Je ne peux que constater l’urgence de réaliser des économies d’électricité. La réponse majeure au problème électrique est non pas le développement des énergies renouvelables, mais la réalisation d’économies, qu’elles résultent de l’isolation du bâti, de la rénovation de l’éclairage ou de la qualité des équipements électroménagers. Je tiens à vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que le secteur résidentiel tertiaire utilise les deux tiers de l’électricité consommée en France.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Le secteur résidentiel tertiaire, est-ce le logement particulier ?

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Il s’agit de l’ensemble du logement, soit l’habitat en général et le secteur du tertiaire constitué par les bureaux, les commerces, les hôpitaux, etc.

J’en viens à votre troisième question. Il s’agit d’une question de temps, de rythme plutôt que d’une question d’argent. Le problème auquel nous sommes confrontés est que – je vais le dire d’une façon un peu dramatique, car j’ai le sentiment que la gravité de l’époque n’est pas comprise – nous devons faire, dans les prochaines années, des choix qui détermineront notre secteur énergétique pour le demi-siècle à venir.

Nous sommes au carrefour de plusieurs crises.

Tout d’abord, notre parc électrique – c’est le sujet qui nous occupe aujourd’hui – est vieillissant et sera bientôt en danger.

Par ailleurs, l’augmentation des prix du pétrole est extrêmement préoccupante. Le ralentissement de la croissance dans les pays industrialisés n’a pas fait baisser ces prix, contrairement à ce qui s’était passé en 2008. Nous sommes installés dans une situation de tension qui fait grimper les prix.

Il faut également mentionner l’horreur que constitue le changement climatique, sujet que j’étudie avec beaucoup d’attention. Nous sommes face à un compte à rebours totalement terrifiant : il faudrait une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Compte tenu du temps de séjour – environ 120 ans – du gaz carbonique dans l’atmosphère, l’inertie est considérable, de sorte que, si nous dérapons, nous ne pourrons pas redresser la trajectoire.

Enfin, la demande mondiale d’énergie – pas seulement celle des pays émergents – augmente très fortement. Nous sommes donc dans une situation de très grande tension.

Il faut construire aujourd’hui une nouvelle politique énergétique, en commençant par les économies d’énergie, notamment dans le domaine de l’électricité, pour desserrer les contraintes, et en s’engageant dans le développement des énergies renouvelables. Cela nécessitera un remaillage du réseau électrique, qui peut être effectué de manière régulière.

Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de programmation, c’est d’une loi de planification. Quand, à la fin de l’année 1997, j’ai été nommé à la présidence de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, le budget prévu pour les questions de maîtrise de l’énergie et de développement des énergies renouvelables en 1998 était égal à zéro…

Les investissements réalisés par la France en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables ne sont pas ridicules, mais notre pays a fait du stop and go en permanence. Or si les coups d’accélérateur sont suivis d’un abandon des filières mettant en danger les entreprises, on aboutit à une déstructuration des secteurs concernés. Plus que l’instauration de mécanismes de taxation ou d’autres dispositifs, le point essentiel est la prévisibilité pour l’ensemble des acteurs et le développement industriel des filières sur la longue durée.

Nous allons revoir l’ensemble du secteur énergétique pour le demi-siècle à venir. Le secteur énergétique inclut également le secteur des transports, puisque ce dernier est dépendant du pétrole à 98 %.

Il importe de lancer le plus vite possible, après l’élection présidentielle, un véritable débat énergétique dans le pays. Je peux comprendre que certains de nos concitoyens se méfient de l’énergie éolienne, mais cela signifie qu’ils ne saisissent pas les enjeux énergétiques pour notre pays dans cette séquence historique. Il faut emporter l’adhésion de nos concitoyens par une comparaison sincère et sérieuse des risques.

Lors de son audition, M. Mestrallet a évoqué la question de la méthanation. Je pense que celle-ci constitue une vraie percée technologique. Dans la mesure où le gaz, à la différence de l’électricité, peut être stocké, nous avons là l’élément de flexibilité que nous cherchions depuis des décennies à travers des mécanismes complexes. Nous sommes aujourd’hui capables d’obtenir cette flexibilité grâce aux technologies que nous avons sur l’étagère. La résolution du problème me semble donc à portée de main.

J’en viens à votre quatrième question. Lorsque j’étais président de l’ADEME, j’étais totalement hostile aux tarifs de rachat de l’électricité produite à partir de l’énergie photovoltaïque décidés à cette époque. Je suis bien entendu favorable à la fixation de tarifs de rachat, mais, lorsqu’un dispositif fiscal est conçu de telle sorte que, s’il atteint son but, il fait sauter la banque, c’est un mauvais dispositif ; quand le succès conduit à l’échec, cela signifie que le dispositif a été mal réglé. Or on savait déjà, il y a dix ans, que des tarifs trop élevés casseraient la filière, et c’est bien ce qui s’est passé.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Il fallait faire des réglages.

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – On pouvait faire des réglages subtils. Par exemple, l’électricité est encore produite avec du pétrole dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer, ainsi qu’en Corse, soit pour deux millions d’habitants ; dans ces zones où la pointe de consommation d’électricité est liée à la climatisation, il fallait fixer un tarif de rachat élevé. Il y avait des niches à travailler, et les conditions de développement de la filière étaient gérables. Mais il ne fallait pas pousser à la transformation de terres agricoles en fermes photovoltaïques ; ce n’est pas une idée sérieuse.

Je reprends un argument que j’ai déjà avancé : la faiblesse française, c’est malheureusement l’absence de constance des politiques, alors même que ces sujets sont stratégiques, et le seront encore davantage à l’avenir.

S’agissant de la sortie du nucléaire, je ressens une souffrance : je suis profondément choqué et bouleversé par le manque de sérieux et de professionnalisme dont il a été fait état depuis un an.

Les services publics, les différents ministères n’ont pas réalisé de comparaison sérieuse des options. Nous avons été abreuvés de scénarios souvent non chiffrés – en tout cas du point de vue financier, ce qui, par les temps qui courent, constitue tout de même un léger défaut – par les différents opérateurs : l’Union française de l’électricité ou Réseau de transport d’électricité, par exemple. L’État a publié le rapport « Énergie 2050 », mais ce dernier repose uniquement sur des consultations d’experts, sans calcul de quelque nature que ce soit. L’association négaWatt a présenté un scénario, mais sans chiffrage ni comparaison avec les autres scénarios. Enfin, un certain nombre d’acteurs ont lancé des chiffres dans les médias – vous avez cité les chiffres allemands, mais des chiffres français aussi peu sérieux ont été avancés.

La sortie du nucléaire ne constitue pas un surcoût. Si on suit mon raisonnement initial, cette sortie ne revient pas à détruire du capital mais à remplacer des ouvrages en fin de vie. Dès lors, qu’on reste dans le nucléaire ou qu’on en sorte, il faut investir.

Des calculs ont déjà été effectués. De mon côté, j’ai repris ce travail de façon sérieuse, car j’estime qu’on ne peut pas s’en tenir à la situation actuelle. J’ai constitué une équipe de cinq personnes qui travaillent sur le sujet, afin d’établir des scénarios impartiaux d’ici à la fin de l’été.

Le travail est énorme. Il s’agit de comparer tous les scénarios – pronucléaires, avec peu de nucléaire, avec beaucoup d’énergies renouvelables, avec beaucoup d’économies d’électricité, etc. – dans les mêmes conditions. Tant que cet exercice n’aura pas été fait, le débat reposera sur du vent…

Les investissements que la France devra réaliser seront de l’ordre de 500 milliards d’euros. Toutefois, je le répète, cette somme ne constitue pas un surcoût, puisqu’elle correspond au remplacement d’équipements en fin de vie tant du côté de l’offre – de la production d’énergie – que du côté de la demande. Il faudra renouveler des équipements de chauffage, des véhicules, des infrastructures de transport. Quels choix ferons-nous pour chacun de ces secteurs ?

Lorsque j’aurai achevé mon étude, je la ferai expertiser par des pairs issus de différents pays, car nous devons sortir du jeu malsain dans lequel nous sommes aujourd’hui.

D’après les études déjà réalisées, les coûts ne diffèrent pas significativement selon qu’on remplace les réacteurs en fin de vie par de nouveaux réacteurs ou par d’autres moyens de production. En revanche, un facteur joue considérablement : le niveau d’économies d’énergie. En clair, plus on intègre d’économies d’énergie dans un scénario, meilleur il est, quel que soit le mode de production choisi.

Mme Laurence Rossignol. – Quand la fin de vie d’un réacteur intervient-elle ?

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Pour moi, un réacteur est en fin de vie après quarante ans d’activité, parce qu’une prolongation de quarante à soixante ans coûte extrêmement cher, d’autant que les investissements à effectuer sont plus importants depuis la catastrophe de Fukushima – tous les coûts supplémentaires ne sont pas encore connus. Prolonger la durée de vie des réacteurs impliquerait donc tellement de dépenses simultanées que je ne vois pas comment le pays pourrait les financer.

Plus vite nous ferons des économies d’électricité, plus nos marges de manoeuvre seront grandes. Malheureusement, la pyramide des âges du parc de production électrique – ce n’est pas le cas des autres installations – est tellement déséquilibrée que nous devons commencer assez rapidement à faire des investissements de renouvellement. Il faut en effet lisser ces investissements sur une longue période, afin qu’ils soient supportables.

J’ai vu des chiffres concernant l’Allemagne : ils n’ont aucun sens. Le coût de construction d’un EPR, tel qu’expertisé par la Cour des comptes après consultation d’EDF et d’Areva, est de 3 000 euros le kilowatt, soit le double du coût des anciennes centrales ; cet écart s’explique par la sophistication des nouveaux réacteurs. Admettons que l’Allemagne doive changer de mode de production pour 10 000 mégawatts : les ordres de grandeur ne sont pas du tout les mêmes. Ces chiffres n’ont donc aucun sens.

Si je devais émettre un seul souhait concernant la représentation nationale, ce serait qu’elle prenne conscience que, au moment où nous nous préparons à renouveler l’ensemble de notre secteur énergétique, notamment électrique, mais aussi une grande partie du secteur des transports, et à réhabiliter nos logements, ne serait-ce que pour respecter nos engagements en matière climatique, il est tout à fait choquant qu’aucun exercice sérieux de prospective n’ait été engagé. Les sommes en jeu sont pourtant astronomiques.

Il faut optimiser la dépense publique en établissant des scénarios contradictoires et un calendrier lissé de mise en oeuvre des investissements, afin que le coût de ces derniers soit supportable pour nos concitoyens.

Je voudrais terminer par une remarque. En 2011, notre pays a enregistré une dépense de 70,4 milliards d’euros : c’est l’argent que nous avons jeté par la fenêtre pour acheter du pétrole, du gaz, de l’uranium et du charbon. Cette somme est équivalente à notre déficit commercial. Le rêve que je forme pour mon pays, c’est que, à l’avenir, nous utilisions l’essentiel de ces 70,4 milliards d’euros en France, pour réhabiliter nos logements et développer les transports collectifs et les énergies renouvelables présentes sur notre territoire.

Je me situe totalement à rebours du discours dominant : j’estime que la prise en charge de la question énergétique constitue l’un des meilleurs scénarios de sortie de crise, puisque nous pourrions mettre fin à une hémorragie de 70,4 milliards d’euros par an.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Je vous remercie, monsieur Radanne.

Avant de vous donner la parole, mes chers collègues, je tiens à rappeler, dans la mesure où je crains que cette intervention très macroéconomique, voire même géopolitique, ne nous incite à des réflexions d’ensemble, que tel n’est pas notre rôle : nous sommes là pour demander des précisions et poser des questions complémentaires à M. Radanne.

M. Ronan Dantec. – Je partage complètement votre opinion, monsieur le président. Il s’agit bien d’une commission d’enquête sur le coût de l’électricité.

Je m’interroge sur les scénarios auxquels vous travaillez, monsieur Radanne, et qui devraient être publiés en septembre. Au-delà de votre analyse macroéconomique, avec laquelle je suis d’accord, je voudrais savoir d’où proviennent les données que vous utilisez et à quelles méthodologies vous avez recours : comment a-t-on accès aux données et comment construit-on des scénarios de manière crédible ?

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Il y a une erreur dans la manière d’aborder le problème. La question n’est pas le coût du kilowattheure mais le montant de la facture.

M. Ronan Dantec. – Je suis tout à fait d’accord.

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Chaque ménage consomme une quantité d’énergie donnée à un prix unitaire donné. La question importante n’est pas le coût du kilowattheure mais le montant de la facture payée. Or celle-ci dépend du volume d’énergie consommé.

Pour un certain nombre d’énergies, comme le pétrole et le gaz, nous n’avons aucune influence sur la fixation du prix unitaire ; en revanche, nous pouvons agir sur le volume. On ne peut pas construire de scénario ni indiquer de prix du kilowattheure indépendamment des actions conduites pour contrôler la demande d’énergie. Ce sujet a été abordé lors de l’audition de M. Mestrallet. Si on laisse filer la pointe de consommation électrique, on augmente considérablement le coût du kilowattheure.

Je ne comprends pas très bien la partie technique de la question.

M. Ronan Dantec. – Ma question était beaucoup plus simple : est-ce que l’ensemble des données sont disponibles, de sorte que votre travail est de faire une synthèse – un travail de bénédictin, certes, mais qui comporte peu d’inconnues -, ou est-ce qu’il existe des « boîtes noires », des éléments dont l’obtention nécessiterait un travail bien plus approfondi ?

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Il n’y a pas de « boîtes noires » : toutes les données relatives aux coûts sont accessibles. En revanche, la combinatoire, le choix des paramètres, cela constitue un travail extrêmement lourd : j’ai prévu 1 000 hommes-jours.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Deux pays – le Japon et l’Allemagne – sont sortis du nucléaire, le premier pour des raisons accidentelles, le second par choix.

Au Japon, seuls deux réacteurs fonctionnent encore. En 2011, la facture de pétrole a augmenté de 77 %, et la facture de gaz d’un peu moins de 30 %.

Outre-Rhin, en revanche, la sortie du nucléaire n’a pas coûté grand-chose. En effet, les Allemands ont utilisé au maximum leurs centrales fonctionnant non pas au charbon, malheureusement, mais au lignite. C’est donc une autre facture qui augmente : les émissions de CO2 explosent.

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – C’est la raison pour laquelle j’ai abordé la question du temps.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Absolument !

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Ce qui coûte cher, ce n’est pas le virage mais la précipitation.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Tout à fait ! Vous aviez d’ailleurs raison de dire que votre conclusion – votre souhait que nos 70,4 milliards d’euros par an d’achat d’énergie soient redéployés – était une image, car il est évident que cela ne peut pas se faire comme ça : il faut du temps.

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – On ne peut certes pas tout redéployer, mais on peut tout de même en redéployer une partie.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Bien entendu !

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Notez que le Japon, qui possède cent trente volcans, avait oublié de développer la géothermie… (Rires.) Sa politique énergétique contredisait les caractéristiques de son territoire. Le Japon est en train de réapprendre à connaître ce dernier. Il va effectuer la transition du nucléaire aux énergies renouvelables par le biais de la géothermie.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Les Japonais ne vous écoutent pas beaucoup s’agissant des économies d’énergie. Quelques bâtiments publics diminuent effectivement leur consommation, de manière symbolique, mais certains de nos collègues sénateurs, qui sont allés au Japon dans le cadre d’une autre mission, ont été stupéfaits de constater que Tokyo by night était toujours aussi éclairée. Les Japonais consomment de l’énergie à tour de bras ! Les ministères de l’industrie et des finances ont certes diminué leur consommation d’électricité, au point que leurs couloirs sont un peu sombres, mais on se demande si, dans leur vie quotidienne, les Japonais ont vraiment tiré la leçon de ce qui s’est passé.

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – L’industrie japonaise est, avec l’industrie allemande, la plus performante du monde en termes d’économies d’énergie. Le secteur des transports japonais est dominé par les transports collectifs. Enfin, le Japon est le pays dont l’intensité énergétique par unité de PIB est la plus faible.

M. Ladislas Poniatowski, président. – Mes chers collègues, souhaitez-vous poser d’autres questions ?…

Je vous remercie, monsieur Radanne. Votre analyse, notamment dans sa dimension macroéconomique, était particulièrement intéressante pour les généralistes que nous sommes.

M. Jean Desessard, rapporteur. – Je vous remercie moi aussi de votre intervention, monsieur Radanne. Si vous êtes d’accord, je vous recontacterai pour vous poser quelques questions complémentaires.

M. Pierre Radanne, expert des questions énergétiques et écologiques. – Ce fut un honneur d’être auditionné par votre commission.